3 Définition et classification des nouvelles « méthodologies »

     

Il n’existe pas de définition de ce qu’est une « nouvelle méthodologie ».

La méthodologie utilisée actuellement (que l’on peut qualifier de « classique », « standard » ou « habituelle ») a fait l’objet d’amélioration continue depuis son origine et continue à être améliorée régulièrement. Les derniers perfectionnements ont mis l’accent sur le contrôle du risque alpha global, la notion d’ estimand , les essais randomisés plateformes, les essais randomisés pragmatiques sur registre, etc.

Les principes de la méthodologie classique, utilisés pour garantir un haut degré de certitude aux résultats, constituent cependant des contraintes qui rendent la réalisation des essais parfois lourde note n° 9 , complexe, longue, nécessitant de nombreux patients et in fine couteuse (même si cette augmentation des coûts est aussi liée à l’évolution réglementaire en générale). Ces aspects conduisent régulièrement à des contrepropositions cherchant à rendre l’évaluation de l’efficacité et de la sécurité des nouveaux médicaments plus simple, plus rapide et moins couteuse. Ce sont ces propositions qui sont communément dénommées « nouvelles méthodologies ».

Un des leviers actionnés par ces nouvelles propositions méthodologiques pour rendre l’évaluation des nouveaux traitements moins contraignante est d’abandonner certains principes méthodologiques en argumentant que les problématiques qu’ils solutionnent n’existent plus. Par exemple abandonner le principe du vérificationnisme note n° 10 en faisant l’hypothèse que les connaissances physiopathologiques et pharmacologiques sont suffisantes pour être sûr qu’un effet pharmacologique ou qu’un effet sur un critère intermédiaire se traduit bien en bénéfice clinique. C’est l’argumentaire principal de la revendication à l’accès précoce des médicaments [12 , 13] (cf. section 5).

Une autre voie utilisée par les « nouvelles méthodologies » est de chercher à faire aussi bien que la méthodologie classique, mais autrement. Par exemple, remplacer la randomisation par les méthodes de correction du biais de confusion ; supprimer le groupe contrôle en argumentant que le raisonnement contrefactuel peut se faire aussi bien à l’aide de contrôles externes (historiques par exemple), etc. Ces techniques alternatives reposent alors sur des hypothèses fondamentales conditionnant leur validité (par exemple l’hypothèse de transitivité dans les comparaisons indirectes utilisées en remplacement d’essais de comparaison directe « head to head »).

Une troisième approche consiste à faire reposer la production de la preuve du bénéfice clinique, non plus sur une étude suffisante en elle-même, mais sur un ensemble d’informations issues de différentes sources. L’idée est de faire des « études augmentées » en intégrant dans le processus de production des résultats de l’information externe qui renforcera l’information note n° 11 produite par l’étude elle-même. On parle d’emprunt d’information. [14 , 15] . Du fait que ce type d’étude va emprunter de l’information, elle n’a plus besoin d’apporter toute l’information nécessaire par elle-même. Elle peut donc être plus petite (en taille) et/ou moins longue que si elle avait la charge, à elle seule, d’apporter la totalité de l’information nécessaire. Cette approche repose la plupart du temps sur l’approche bayésienne en utilisant la possibilité d’introduire de l’information a priori dans la production du résultat de l’étude. Ces méthodes reposent ainsi sur l’hypothèse que l’information empruntée est correcte pour documenter l’effet recherché.

Ces trois approches conduisent donc à des méthodologies moins-disant, reposant entièrement sur des hypothèses simplificatrices fortes (Tableau 2). Elles sont donc incapables de garantir par elles-mêmes un haut degré de crédibilité des résultats. Elles ne pourront produire des résultats fiables que si les hypothèses sur lesquelles elles se basent sont effectivement vérifiées (par exemple l’effet sur le critère intermédiaire prédit avec certitude l’effet sur le critère clinique, c’est-à-dire que ce critère intermédiaire est un véritable surrogate ; l’information empruntée reflète bien le réel effet du traitement et n’est pas une estimation abusivement optimiste ; etc.) (cf. Tableau 2). En pratique, pour que les résultats obtenus soient recevables comme preuves du bénéfice clinique, il est nécessaire que soit aussi démontré que les hypothèses fondamentales sous-jacentes à la nouvelle méthodologie sont effectivement vérifiées dans le cadre considéré. Ces approches doivent donc apporter des études (ou arguments) complémentaires démontrant que les résultats produits sont effectivement à l’abri des « biais » contre lesquels la nouvelle méthodologie ne protège pas par principe. Ces démonstrations complémentaires font appel à des méthodologies spécifiques (par exemple méthodologie de validation d’un surrogate ).

Tableau 2 – Exemples d’hypothèses simplificatrices que font les nouvelles propositions méthodologiques pour simplifier la production des résultats. La crédibilité des résultats produits dépend directement de la vérification de la plausibilité de l’hypothèse qui peut être, dans certains cas, invérifiable et laisser un caractère spéculatif au résultat produit

Nouvelles propositions méthodologiques

Hypothèses simplificatrice

Validation de l’hypothèse nécessaire pour rendre acceptables les résultats

Méthodologie classique

Aucune hypothèse : le principe est de vérifier directement que le traitement apporte le bénéfice clinique escompté

(hormis des hypothèses sur la qualité de la réalisation assurées par le système d’assurance qualité et vérifiées par le monitorage)

[Normaltableau] Surrogate

L’effet sur le surrogate prédit l’effet sur le critère clinique

Validation de cette hypothèse par une étude de corrélation des effets observés dans des essais précédents

Étude observationnelle

Les ajustements ont permis de supprimer complètement le biais de confusion

L’association observée peut être interprétée de manière causale

+ nombreuse autres hypothèses

Démonstration que tous les facteurs ont été pris en considération dans les ajustements

Démonstration que tous les autres biais sont contrôlés

Démonstration de l’absence de data dredging , p haking , etc.

Emprunt d’information (essais bayésiens, codata, etc.)

L’information empruntée correspond bien au vrai effet du traitement que l’on cherche à estimer (dans la population de l’étude)

Démonstration que l’information empruntée correspond bien à l’effet qui est recherché

Étude mono-bras

Le contrôle externe constitue un contrefait correct

OU le changement avant/après conduit à un raisonnement contrefactuel correct

Démonstration que tous les facteurs ont été pris en considération dans les ajustements

Démonstration que tous les autres biais sont contrôlés

Démonstration de l’absence de data dredging , p haking , etc.

Design adaptatif

Adaptations effectuées ne dépendent pas des résultats qu’elles produisent

Structure des méthodes utilisées

Essais pragmatiques randomisés en vie réelle

Pas de défaut de réalisation

Invérifiable, car pas de monitorage

D’autres propositions sont simplement des améliorations ou optimisations de la démarche habituelle, comme les « masters protocols » , qui reposent sur une infrastructure, un design d'essai et un protocole uniques pour évaluer un ou plusieurs médicaments dans une ou plusieurs maladies [16] . Parmi eux, on distingue différentes approches :

  • Les essais « baskets » évaluent un même traitement, mais dans plusieurs maladies ou sous-types de maladies
  • Les essais « umbrella » étudient au contraire différents traitements dans une même maladie
  • Enfin les essais « plateformes » permettent de comparer différents traitements dans une même maladie, mais de manière continue, les différents traitements étant amenés à entrer ou sortir de la plateforme sur la base d'un algorithme de décision.

Ces approches n’abandonnent aucun principe méthodologique, mais rendent la production de preuves plus fluides, rapides et moins lourdes. Il existe bien des conditions de validité spécifiques (utilisation de patients contrôles contemporains pour les essais plateformes par exemple), mais aucun abandon des principes de la méthodologie. Aucune hypothèse n’est nécessaire pour assurer la crédibilité des résultats (qui ne dépend que de la méthodologie de l’étude).

Le Tableau 3 tente de récapituler ces éléments de différenciation entre méthodologie classique et les nouvelles propositions méthodologiques.

Tableau 3 – Éléments de différenciation entre méthodologie classique et les nouvelles propositions méthodologiques

Méthodologie classique

La méthodologie de l’étude est autosuffisante pour garantir un haut degré de crédibilité aux résultats qui ne dépendent que de données observées (confrontation de la théorie à la réalité)

Méthodologie moins-disante

Fait l’hypothèse que certaines problématiques méthodologiques n’affectent pas le domaine de l’étude ce qui permet de simplifier la méthodologie en abandonnant les principes utilisés dans la méthodologie classique pour parer à ces problèmes

Emprunt d’information

Le degré de crédibilité du résultat va dépendre de la crédibilité de l’information empruntée (non arbitraire, non subjective, et applicable (représentative) à la situation de l’évaluation)

Optimisation de la méthodologie classique

Aucune hypothèse simplificatrice présupposée, le degré de crédibilité des résultats ne dépend que de la méthodologie de l’étude

Même si la motivation des propositions moins-disantes est clairement d’alléger l’évaluation des traitements de contraintes qui peuvent être inutiles (ou de la rendre réalisable en faisant des concessions sur la crédibilité des résultats), on peut néanmoins craindre que dans certaines réalisations, une partie de la motivation de ce choix réside dans la recherche de méthodes plus flexibles, permettant un plus grand contrôle des résultats obtenus.


[9] Indépendamment des contraintes administratives, légales et règlementaires. Uniquement sur le plan méthodologique, les autres contraintes administratives et règlementaires, dont l’intérêt est autre (protéger les patients principalement), se rajoutent à ces contraintes méthodologiques (garantissant la solidité du résultat).

[10] Démontrer par les faits que l’effet pharmacologique induit bien un bénéfice clinique

[11] Le terme information est utilisé dans son acception statistique. Dans la comparaison de deux groupes à la recherche de l’effet d’un traitement, l’information est apportée par les évènements et les sujets inclus.