Acceptabilité des « nouvelles méthodologies » pour l’évaluation des médicaments

1 Objectifs, démarche mise en œuvre

2 Fondamentaux et principes de base considérés

3 Définition et classification des nouvelles « méthodologies »

4 L’acceptabilité des méthodologies « moins-disantes »

5 Retour des premières utilisations de nouvelles méthodologies

6 Évaluation des revendications de bénéfice clinique d’un nouveau traitement

7 Les real world evidences (RWE )

8 Les études observationnelles

8.1 Problématiques méthodologiques spécifiques et solutions possibles

8.1.1 Confusion

8.1.2 Autres biais

8.1.3 Autres éléments de méthode

8.1.3.1 Étude exploratoire , étude de confirmation, découverte fortuite

8.1.3.2 Études multibases

8.1.3.3 P hacking

8.1.3.4 Biais de publication et selective reporting

8.1.4 Analyse en intention de traiter

8.1.5 Inférence causale (causal inference)

8.2 Synthèses des problématiques et de leurs solutions

8.3 Études de cas, retour sur expérience

8.3.1 Comparaison de la chlorthalidone et de l’hydrochlorothiazide pour le traitement de l’hypertension

8.3.2 Sécurité cardiovasculaire de l’insuline

8.4 Meta-recherche

8.5 Avis de la SFPT

9 L’approche d’émulation d’un essai cible

10 Les registres

11 Les essais pragmatiques

12 Les essais plateformes

13 Les essais bayésiens

14 Les essais adaptatifs

15 Les essais combinés (« sans couture », seamless )

16 Études mono-bras (non comparative)

17 Études à contrôle externe (groupes contrôles synthétiques )

18 L’emprunt d’information

19 Les surrogates (critères de substitution)

20 Les essais basket

21 Les analyses poolées , les méta-analyses

22 Les comparaisons indirectes en remplacement d’études « head to head » manquantes

23 Les maladies rares

Références

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8 Les études observationnelles

     

Les études observationnelles d’efficacité des traitements tentent d’utiliser l’observation de ce qui se passe dans la pratique médicale courante (vraie vie) pour déterminer l’efficacité des traitements, sans intervenir sur la nature des traitements reçue par les patients.

Il existe de nombreuses utilisations des études observationnelles en pharmaco épidémiologie en dehors de l’évaluation de l’efficacité des médicaments comme : décrire les pratiques et leur évolution, rechercher le mésusage, génération de nouvelles hypothèses, détections des EIG rares non détectés dans les essais qui peuvent impacter potentiellement le rapport bénéfice/risque dans des populations plus importantes et avec des durées plus longues, etc. Ces autres usages ne posent pas du tout les mêmes problématiques méthodologiques et ne sont pas concernés par ce qui est abordé dans ce chapitre.

Les études observationnelles peuvent être utilisées avec d’autres objectifs (décrire les traitements utilisés, recherche du mésusage, etc.), mais ces applications sont hors du champ de ce document. Les études observationnelles considérées ici s’inscrivent dans une tentative d’obtenir des résultats aussi solides que ceux produits par l’approche habituelle, c’est-à-dire obtenir des preuves (evidences ) (cf. section 7). L’idée est alors de produire des real world evidence (RWE), similaires aux evidences produite par les études expérimentales randomisés note n° 12 , note n° 13 .

Les études observationnelles peuvent être réalisées de manière prospective (données primaires) ou en analysant de manière a posteriori des données déjà existantes, appelées données secondaires pour mentionner qu’il s’agit d’une utilisation secondaire de données. Ces données secondaires peuvent être des données cliniques (dossiers médicaux, electronic health records ), des données issues de cohortes collections ou de registres, des bases de données administratives, etc.

L’analyse statistique est complexe, car elle cherche à corriger les résultats des biais inhérents à l’approche observationnelle, principalement le biais de confusion. Elle cherche aussi à s’inscrire dans le cadre de l’inférence causale (voire section 8.1.5) afin de tenter d’établir un lien de causalité entre le traitement étudié et les bénéfices mis en évidence, comme ce qui est obtenu avec l’essai randomisé. Enfin, ces études doivent aussi s’inscrire dans une approche d’émulation d’un essai cible [34] afin de conforter leurs résultats en se rapprochant le plus possible de la méthodologie de l’essai clinique.

La lecture critique de ces études et l’évaluation du degré de certitude des résultats demande une expertise pointue spécifique. Une difficulté supplémentaire apparait du fait d’une recherche méthodologique intense dans ce domaine, conduisant à une rapide évolution des méthodes de référence. L’expertise nécessaire à la lecture de ces études doit donc être continuellement actualisée.

Cette approche est inadaptée à l’évaluation des traitements avant leur commercialisation (ou leur mise à disposition), car l’approche de vraie vie sous-entend que les traitements étudiés sont déjà utilisés dans la pratique médicale courante. Leur utilisation est donc limitée à la confirmation de l’efficacité des traitements dans la vraie vie en comparant les résultats d’études observationnelles à ceux des essais randomisés (avec une problématique importante de p hacking, car l’analyse est réalisée en connaissant le résultat à obtenir) ou à étudier ce qui se passe sur des durées de suivi plus longues.

Les études observationnelles peuvent aussi être exploitée pour rechercher des hypothèse de repositionnement d’ancienne molécule dans d’autre pathologie que leur usage initial (« repurposing ») [35] .

Les études observationnelles sont parfois aussi envisagées pour apporter la confirmation du bénéfice après un enregistrement précoce, à la place d’un essai randomisé. L’accès précoce est accordé sans démonstration du bénéfice clinique, avec des études de faible méthodologie, comme des études mono-bras ou des essais sur critères intermédiaires (n’ayant pas valeur de surrogate), à condition qu’une étude de confirmation soit entreprise. Si cette étude ne confirme pas le bénéfice, le traitement devrait être retiré. Cet affaiblissement de la qualité des essais initiaux engendrera une perte considérable de niveau de preuve que les meilleures études observationnelles ne pourront totalement compenser. Le degré de certitude du bénéfice clinique des produits serait bien inférieur à ce qu’apporte la méthodologie classique ou même ce qui est exigé actuellement pour les accès précoces, une confirmation par un essai randomisé (même s’il est vrai que ces études ne sont pas toujours produites. [17 , 23 , 36 , 37 , 38] , cf. section 5).

Depuis des années, les études observationnelles à promotion industrielle et s’intéressant à l’efficacité des médicaments sont, à de rares exceptions, réalisées dans le cadre de phase 4 sans finalité d’enregistrement. La robustesse méthodologique de ce type d’études est en général faible. [39 , 40] et leurs résultats sont principalement exploités à but de communication promotionnelle (ou d’abondement aux scores bibliométriques des auteurs). Pour parer à l’éventualité de résultats opposés à ceux souhaités, ces études aménagent souvent une ambigüité quant à leur objectif : décrire et non pas comparer (voir faire une comparaison descriptive !). Dans ce contexte, ces études ne cherchent pas, en général, à apporter une solution à toutes les problématiques méthodologiques que posent ces études (cf. infra) et ne correspondent absolument pas à ce qui actuellement envisagée comme « real world evidences ». S’il existe une possibilité de produire des preuves solides à partir des données observationnelles, de degré de certitude identique à celui apporté par la méthodologique classique, cela passe par une tout autre approche, bien plus complexe et sophistiquée, et il ne faut pas considérer que ces études indigentes méthodologiquement correspondent à ce qui est envisagé pour produire des RWE.

Par exemple, dans la récente crise de la COVID-19, de nombreuses études « observationnelles » ont été produites pour justifier a posteriori des usages compassionnels ou des repositionnements. Ces études reposaient, à de rares exceptions près note n° 14 , sur des méthodologies simplistes, comme un ajustement arbitraire non raisonné. Les conséquences ont été particulièrement délétères, car non seulement leurs résultats ne sont pas pertinents, mais plus grave encore, elles ont entravé lourdement la réalisation des essais randomisés bien faits, les médecins préférant prescrire de manière "compassionnel" ces traitements non évalués correctement plutôt que d’inclure les patients dans un essai correct. Ce qui retarde et empêche d'avoir la réponse d'une démonstration d'efficacité ou au contraire de l'échec du médicament à évaluer.



[12] Le congrès nord-américain a défini des RWE comme « as data regarding the usage, or the potential benefits or risks, of a drug derived from sources other than traditional clinical trials. FDA has expanded on this definition …» https://www.fda.gov/science-research/science-and-research-special-topics/real-world-evidence

[13] La FDA ne limite pas les RWE aux études observationnelles. Elle recouvre aussi dans cette appellation les essais randomisés, simples, pragmatiques réalisés à partir de « real world data », c’est-à-dire de données de vraie vie non recueillies spécialement pour l’étude.

[14] Voir par exemple l’étude de l’ivermectine dans la COVID de Soto-Becerra et al. [41] qui met en œuvre une approche d’inférence causale et d’émulation d’un essai cible et qui ne permet pas de conclure au bénéfice de celle-ci.