5 Retour des premières utilisations de nouvelles méthodologies

     

Les nouvelles propositions « méthodologiques » sont d’ores et déjà utilisées, par exemple dans le cadre des demandes à la FDA d’enregistrement accéléré (accelerated approval ), en particulier en oncologie. Dans ce cadre, les autorisations de commercialiser sont accordées sur la base de résultats préliminaires (effet sur des surrogates , études mono-bras [18 , 19 , 20 , 21] ) laissant présupposer un éventuel bénéfice clinique du traitement. Cet accord est conditionnel à la confirmation du bénéfice après commercialisation par une étude de phase 3. Pour l’instant il est plus ou moins exigé que cette phase 3 soit une étude randomisée, mais il existe aussi des demandes pour que cette étude repose sur des nouvelles « méthodologies ».

Les « nouvelles méthodologies » utilisées dans ces enregistrements accélérés sont principalement des études mono-bras ou l’utilisation d’un surrogate [22] .

Il apparait aussi que les études de confirmation demandées ne sont pas toujours réalisées ou terminées [23] , montrant que le système actuel présente des failles qui peuvent être graves de conséquence. Cela montre aussi la fragilité de l’idée que l’évaluation puisse se faire après commercialisation, les investigateurs pouvant considérer qu’il n’est plus acceptable de réaliser un essai comparatif étant donné que la molécule est disponible en standard, alors que ne pas faire l’essai expose à une méconnaissance du rapport bénéfice/risque du médicament ce qui est éthiquement inacceptable [24 , 25 , 26 , 27] .

La tendance actuelle est plutôt de s’orienter vers des études observationnelles (registre de patients tous traités par la nouvelle molécule, posant la problématique des études monobras, ou études de « comparative effectiveness » si la totalité des patients ne la reçoit pas) pour chercher cette démonstration du bénéfice à la place de la réalisation d’essais comparatifs randomisés post-approval .

Actuellement cette pratique des enregistrements accélérés fait l’objet de nombreuses critiques, principalement en oncologie, car il s’avère qu’il a conduit à « abaisser la barre » des exigences de preuve du bénéfice clinique de manière substantielle [28 , 29 , 30 , 31 , 32] . Au-delà de l’oncologie, ces enregistrement accéléré (accelerated approvals ou breakthrough approval ) ont été utilisés dans des indications comme la dépression résistante ou la dépression du post partum , arguant d’un certain caractère « compassionnel » alors que ces situations sont bien différentes des patients ayant un cancer sans aucune perspective thérapeutique (citons les exemples de l’esketamine ou de la brexanolone).

L’étude des molécules enregistrée en oncologie à la FDA entre 2000 et 2016 met en évidence la fragilité des données disponibles au moment de la mise sur le marché et la petitesse des bénéfices avec une médiane des bénéfices absolus sur la survie de 2.4 mois [21] .

Il a été estimé qu’en 2019 aux USA les médicaments enregistrés par une procédure accélérée représentait en valeur  9.1% des dépenses de médicaments payés par Medicaid sans qu’il soit possible de connaitre le réel bénéfice de ces traitements, l’enregistrement accéléré de ces molécules reposant sur des critères intermédiaires pour la majorité d’entre elles [33] . Une autre étude portant sur le même sujet arrive au même constat en trouvant que 2/3 des essais présentent des limites empêchant de savoir ce qu’apporte réellement le traitement au patient [18] . Au niveau européen, la situation s’avère identique avec la moitié des essais sur lesquels sont basés les enregistrements par l’EMA en oncologie qui sont à haut risque de biais [20] .

Outre la difficulté d’obtenir des preuves fiables avec ce type d’études, ces enregistrements accélérés reviennent aussi à faire financer la recherche de la preuve par les payeurs et non plus par l’industriel qui percevra ensuite le bénéfice de cette démonstration. Même en cas d’échec, ces études auront permis à l’industriel d’engranger du chiffre d’affaires avec une molécule n’apportant pas de bénéfice au patient et donc ainsi de limiter la charge financière qu’il devrait subir du fait de l’échec de la molécule. De ce fait les payeurs deviennent des co-investisseurs à perte dans le développement industriel des nouvelles molécules.

Sur un autre plan, à l’issu de ces enregistrements accélérés, les médecins prescripteurs et les patients traités participent ainsi à l’évaluation de nouveaux médicaments sans que cette situation leur soit clairement perceptible. Sans le recours aux nouvelles méthodologies, cette obtention, ou non, de la preuve du bénéfice clinique aurait été réalisée par des investigateurs (et non des prescripteurs) dans le cadre éthique et réglementaire d’une étude de phase 3 où le consentement des patients aurait été recueilli.