6.1 Appréciation du bénéfice clinique net par les différences des risques

     

La balance bénéfice risque peut-être appréciée quantitativement en comparant les différences de risques, aussi appelée bénéfice absolu (Absolute Risk Reduction , ARR) correspondant à l’effet du traitement sur le critère d’efficacité et sur le critère de safety.

Exemple d’une balance bénéfice risque non favorable quantitativement

L’essai PEGASUS [25] a comparé l’association ticagrelor + aspirine à l’aspirine seule pour la prévention des évènements cardiovasculaires ischémiques à distance de l’épisode aigu illustre parfaitement bien cette problématique. Ce traitement à la dose de 60mg multiplie par 2.3 (hazard ratio de 2.32) le risque de saignements majeurs (critère de safety primaire) soit une augmentation relative de +132%.

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Cependant il permet de prévenir davantage la survenue d’un évènement ischémique grave (infarctus ou AVC mortel ou non, critère d’efficacité primaire de l’essai) en réduisant leur fréquence de 16% en relatif (hazard ratio de 0.84).

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Au premier abord, il semble que l’augmentation des évènements hémorragique (+132%) outrepasse la réduction des évènements cardiovasculaire (-16%). Cependant il convient de remarquer qu’il s’agit d’effets relatifs qui ne sont pas directement comparables, car affectant des évènements qui n’ont pas le même risque de base. En effet, dans le groupe placebo la fréquence des saignements majeurs est 1.06% tandis que celle des évènements cardiovasculaires est bien plus élevée, 9.04%. Pour cette raison, il convient de comparer les augmentations ou réductions absolues et non pas relatives.


La différence de risque est obtenue en faisant simplement la différence de la fréquence des évènements considérés entre le groupe traité et le groupe contrôle. Cette différence absolue permet de quantifier le nombre d’évènements évités ou induits par le traitement de 100 patients note n° 8 (lorsqu’elle est exprimée en pourcentage ou pour 1000 patients traités lorsque cette différence est inférieure à 1%).

Appliqué à l’essai PEGASUS [25] (cf. ci-dessus), la différence de risque pour la dose 60mg sur le critère d’efficacité est de 7.77%-9.04% = -1.27%, soit 12.7 évènements cardiovasculaires évités pour 1000 patients traités durant la durée de l’étude. Pour le critère de jugement principal de safety, les saignements majeurs, la différence des risques est 2.30%-1.06%= +1.24%, soit 12.4 hémorragies de plus pour 1000 patients traités, avec la même dose.

La balance bénéfice apparait ainsi non favorable à l’utilisation du traitement étant donné que le nombre d’hémorragies induites compense numériquement la totalité des évènements cardiovasculaires évités. Sur 1000 patients traités, il y aura moins d’évènements ischémiques qu’avec le traitement contrôle mais il y aura le même nombre d’hémorragies majeures en plus. La balance bénéfice risque n’est donc pas favorable (cf. avis de la commission de transparence https://www.has-sante.fr/jcms/c_2744502/ ).


Exemple de balance bénéfice risque quantitative favorable

L’essai PLATO [26] a évalué l’administration durant 1 an après l’évènement aigu du ticagrelor par rapport au clopidogrel pour la prévention de la récidive des évènements cardiovasculaires ischémiques. Une réduction des évènements cardiovasculaires a été observée.

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Les résultats, pour le critère principal de safety, ne montrent pas d’augmentation significative des saignements majeurs.

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La différence des risques pour l’efficacité est 9.8% - 11.7% = -1.9%. Celle pour la safety est 11.6% - 11.2% = +0.4%. La balance bénéfice risque est donc largement favorable. Le bénéfice obtenu au niveau des évènements ischémiques n’est pas contrebalancé par l’effet du traitement sur les saignements majeurs. La différence de ces 2 différences permet, éventuellement, d’estimer un bénéfice net de -1.9% - 0.4% = -1.5%, correspondant à 15 évènements ischémiques évités, net de saignements majeurs, pour 1000 patients traités durant la durée de l’étude. La balance bénéfice risque est ainsi favorable et permet de positionner le traitement dans la stratégie thérapeutique concernant ces patients (cf. avis de la commission de transparence https://www.has-sante.fr/jcms/c_1172422 )


L’approche de quantification de la balance bénéfice risque par l’approche des différences de risque est aussi utilisée en méta-analyse.

L’effet global des inhibiteurs SGLT2 sur la fonction rénale pour différents types de patients a été estimé par une méta-analyse sur données individuelles [27] . Cette méta-analyse regroupant 13 essais incluant 90 413 patients montre plusieurs bénéfices sur le rein de ces molécules ainsi que de possibles effets indésirables en termes d’acidocétose et d’amputation (principalement chez le diabétique). Dans ce contexte, une analyse fine de la balance bénéfice risque a été entreprise en confrontant les différences de risques des principaux bénéfices avec celles des effets indésirables augmentées de manière statistiquement significative qui montre « Based on estimates of absolute effects, the absolute benefits of SGLT2 inhibition outweighed any serious hazards of ketoacidosis or amputation ». Les résultats sont présentés sous forme graphique permettant une appréciation visuelle directe du bénéfice clinique net (pour les différents types de patients considérés).

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Ces calculs soulèvent plusieurs points de discussion. Le premier concerne l’équivalence clinique des évènements d’efficacité et des évènements de safety pris en compte. Ils doivent représenter des évènements de la même sévérité clinique étant donné que l’occurrence d’un évènement de safety contrecarre exactement l’évitement d’un évènement d’efficacité dans ces calculs. Ainsi la gravité, le pronostic, le niveau d’embêtement pour le patient (hospitalisation, traitement) doit être similaire entre ces deux éléments du calcul. C’est d’ailleurs la définition du critère principal de safety. En effet, dans ce terme, critère principal de safety , le mot « principal » ne renvoie pas à l’aspect statistique du contrôle du risque alpha global comme avec le critère de jugement principal (d’efficacité), car le risque alpha n’est pas pertinent pour la safety (cf. section 2.1). Le mot « principal » signifie que ce critère de safety représente des évènements qui sont à même de remettre en question le bénéfice obtenu sur le critère de jugement principal (d’efficacité). Il s’agit donc des évènements choisis par les investigateurs de l’essai pour faire cette confrontation dans l’évaluation de la balance bénéfice risque.

Il a été proposé de pondérer les évènements pour obtenir cette équivalence clinique. Cette pondération se base que sur des considérations cliniques et doit être faite à priori (comme est fait à priori le choix du critère de jugement principal de safety). En pratique cette pondération, n’est pas effectuée de manière numérique, mais en sélectionnant pour le critère principal de safety des évènements de même gravité.

Ce point de l’équivalence clinique conduit souvent à des discussions infinies lorsque la balance bénéfice n’apparait pas favorable [28] , mais repose le plus souvent sur des arguments arbitraires, choisis post-hoc pour l’opportunité qu’ils donnent de récuser cette appréciation défavorable. Il existe ainsi un besoin de standardisation des critères de safety dans tous les domaines pour éviter ces discussions, comme cela a été le cas dans le domaine des antithrombotiques avec la définition de saignements majeurs dont la survenue est cliniquement problématique (avec au moins 3 définitions différentes ISTH, TIMI ou GUSTO).

Il a aussi été proposé d’utiliser une pondération numérique pour tenir compte des différences de gravité clinique entre les évènements d’efficacité et de sécurité. Cette pondération est alors fixée de manière arbitraire, post hoc et autorise ainsi à produire le résultat escompté [29] .

Le deuxième point de discussion que soulève ce calcul est celui de la cooccurrence des 2 évènements chez certains patients. Les données rapportées dans les publications ne permettent pas de prendre en compte ces co-occurrences. Les patients concernés sont alors comptés deux fois, au niveau du critère d’efficacité et aussi au niveau du critère de safety. La prise en compte de ces co-occurrences nécessite le recours aux données individuelles, avec la constitution d’un critère composite de bénéfice clinique net (cf. section 6.4).

Le dernier point de discussion concerne l’absence de prise en considération des incertitudes statistiques existant sur la connaissance du réel bénéfice et du réel effet indésirable. Le calcul de l’intervalle de confiance de la différence des différences de risques nécessite de faire une hypothèse d’indépendance en probabilité des deux évènements. L’utilisation d’un critère composite de bénéfice clinique net permet quant à lui de prendre cette double incertitude sans faire cette hypothèse et permet de savoir s’il est possible de conclure à une balance bénéfice risque quantitative favorable de manière statistiquement significative (cf. section 6.4). D’autres approches sont aussi disponibles comme les analyses par paire de net benefit ou de win ratio [30 , 31 , 32] , mais elles nécessitent les données individuelles. De plus, ces approches très récentes ne sont pas encore utilisées couramment dans les essais.

En pratique, l’absence de la prise en compte de l’incertitude statistique n’est gênante que si l’on cherche des certitudes (statistiques) sur le fait que la balance bénéfice risque soit favorable. Dans ce cas, il faudrait pouvoir s’assurer que cette balance reste favorable même dans la situation du pire (borne supérieure de l’IC du bénéfice net calculé). Cependant une telle exigence (démonstration formelle que la balance bénéfice risque est favorable) n’est pas vraiment exigée à l’heure actuelle à aucun niveau de l’évaluation des nouveaux traitements, montrant que, finalement, la question de la safety est considérée de manière plutôt secondaire par rapport à l’efficacité. La méta-recherche a documenté à de nombreuses reprises que dans les essais de phases 3, l’évaluation de la safety passer au second plan par rapport à celle de l’efficacité, comme aussi dans la prise en compte de ces données pour la décision [33 , 34 , 35 , 36 , 37 , 38] .

En revanche, lorsque le calcul suggère une balance bénéfice risque non favorable ou défavorable, la question de l’incertitude statistique ne se pose presque plus en application du principe de précaution.


[8] Sur une durée de traitement identique à celle de l’étude ou au suivi effectué dans l’étude