3 Les essais de non-infériorité de safety

     

La recherche d’une conclusion formelle d’absence d’effet indésirable passe, en théorie, par la réalisation d’un essai de non-infériorité. Cette approche reste plutôt rare et elle n’a été utilisée de manière systématique que pour les nouveaux antidiabétiques afin d’établir leur sécurité cardiovasculaire note n° 2 [6 , 7 , 8] .

Ces essais permettent de démontrer que le nouveau traitement n’entraine pas une augmentation d’un effet indésirable supérieure à une certaine valeur, la limite de non-infériorité note n° 3 . Cette limite devrait correspondre au surrisque le plus important acceptable/tolérable compte tenu du bénéfice du produit. L’essai permettra de conclure à la non -infériorité lorsque la borne supérieure de l’intervalle de confiance sera inférieure à cette limite.

Les essais de non-infériorité ne permettent pas stricto sensu de conclure à l’absence d’augmentation du risque, mais ils permettent de conclure que, si augmentation du risque il y a, cette augmentation reste acceptable compte tenu du bénéfice du produit.

Le maillon faible de cette approche réside dans la fixation de la limite de non-infériorité qui est arbitraire et repose sur un choix de valeur « quelle augmentation de cet évènement indésirable accepter compte tenu du bénéfice ? ». La réponse à cette question n’est jamais évidente et aucune valeur standard ne peut être proposée. Le choix repose sur un raisonnement clinique au cas par cas.

Dans le cas des essais de safety cardiovasculaire des nouveaux antidiabétiques demandés par la FDA, cette limite a été fixée à un risque ratio de 1.3 (sur le critère composite d’évènements cardiovasculaires, infarctus et AVC, mortels et non mortels). Avec ce choix, un traitement sera donc considéré comme sûr dès que l’essai de non-infériorité permettra d’exclure qu’il n’entraine une augmentation des évènements cardiovasculaires de plus de 30%. Se pose alors la question de la signification clinique d’une valeur aussi importante. Peut-on vraiment considérer comme sûr un traitement qui est susceptible d’entrainer une telle augmentation d’évènements graves ? Faire courir ce risque potentiel aux patients est-il justifiable par le bénéfice qu’apportent ces traitements, surtout qu’un bénéfice recherché par le contrôle glycémique est la réduction des évènements cardiovasculaire qui est alors loin d’être démontrée si la limite supérieure de l’intervalle de confiance permet juste d’écarter un risque ratio de 1.3.


L’utilisation d’un traitement actif à la place du placebo comme comparateur est aussi possible si la question est celle d’une sécurité relative par rapport au traitement standard, pour écarter formellement la possibilité que le nouveau traitement puisse être moins sûr que le standard qu’il vise à remplacer.

L’essai PRO 2 TECT a évalué la safety cardiovasculaire du vadadustat par rapport à la darbepoetin alfa chez des patients porteurs d’une pathologie rénale sans dialyse (non–dialysis-dependent chronic kidney disease, NDD-CKD) [9] . Deux critères de jugement ont été utilisés : les évènements cardiovasculaires (MACE) et un critère composite MACE et hospitalisation. Une limite de non-infériorité de 1.25, non justifiée dans la publication, a été utilisée La non-infériorité n’a pas été démontrée sur le premier critère de safety avec un hazard ratio de 1.17 (IC 95% 1.01 ; 1.36) dont l’intervalle de confiance excède la limite de 1.25. Ce résultat a bloqué l’enregistrement de ce produit dans cette indication par la FDA.


L’essai CARES a été entrepris pour confirmer la bonne sécurité cardiovasculaire du febuxostat dans la prévention de la crise de goutte [10] . Cette étude a été réaliser dans le but de lever un doute sur la sécurité cardiovasculaire du febuxostat induit par son essai pivot qui faisait craindre une augmentation des évènements cardiovasculaire par rapport à l’allopurinol [11 , 12] . L’essai CARES permet de conclure à la non-infériorité recherchée (limite supérieure de l’intervalle de confiance du hazard ratio à 1.23 pour une limite de non-infériorité de 1.3) mais une surmortalité cardiovasculaire (hazard ratio 1.34 IC95% [1.03 ; 1.73]) et de toute cause (1.22 IC95% [1.01 ; 1.47];) est observée ne permettant pas de conclure à la sécurité de cette molécule par rapport à l’allopurinol.


D’autres exemples d’application de cette approche formelle d’évaluation de la safety existent [13 , 14 , 15 , 16] (y compris dans le domaine des dispositifs médicaux ou de la chirurgie [14 , 17 , 18] ) mais pour l’instant (novembre 2022) nous ne disposons d’aucune étude de méta-recherche sur l’utilisation de cette approche et la description des pratiques.

Même si cette approche basée sur l’essai de non-infériorité est assez peu employée, elle met en exergue l’intérêt du raisonnement de non-infériorité pour solidifier les conclusions sur la safety dans les essais thérapeutiques. Comme il est impossible de conclure à l’absence d’effet, il convient de toujours relativiser l’incertitude existant sur l’absence de surrisque par rapport au bénéfice démontré apporté par le traitement. Ainsi il ne convient plus de chercher à conclure à l’absence d’effet indésirable, mais bien de s’assurer que l’on peut exclure la possibilité d’un surrisque qui ne serait pas acceptable compte tenu du bénéfice qu’apporte le traitement. En d’autres termes, il s’agit de s’assurer qu’au pire, le surcroit non excluable d’évènements indésirables ne contrebalance pas en totalité le bénéfice apporté. C’est la base du raisonnement quantitatif, basé sur le bénéfice clinique net, qui apparait de plus en plus comme étant la voie à suivre pour rendre moins arbitraires les conclusions des essais cliniques sur la balance bénéfice risque. Cette approche est développée section 6.


[2] https://www.fda.gov/media/71297/download

[3] Cf. Dossier 6 – L’essai de non-infériorité