5 Comment décider en présence d’un surcroit d’effets indésirables

     

La conception initiale qu’un traitement doit être efficace et sûr pour avoir une balance bénéfice risque favorable s’avère complètement désuet dans de nombreux domaines thérapeutiques concernant des pathologies graves (oncologie, hémato-oncologie, cardiologie aigüe, neurologie aigüe, etc.) où les traitements sont susceptibles d’induire de réels effets délétères graves (comme des décès). Il s’agit par exemple des fibrinolytiques à la phase aigüe de l’infarctus du myocarde qui sont pourvoyeur éventuellement d’hémorragies fatales (par hémorragies intra-crâniennes entre autres). Très fréquemment les traitements anticoagulants entrainent une augmentation statistiquement significative de la fréquence des hémorragies majeures. De nombreux traitements anticancer sont aussi susceptibles d’entrainer des décès toxiques.

L’essai TRITON [21] comparant le prasugrel au clopidogrel dans le traitement initial des syndromes coronariens aigus. Les données de safety rapportées dans le tableau ci-dessous montrent que l’utilisation du prasugrel s’accompagne d’une augmentation statistiquement significative de la fréquence des saignements majeurs de +32%, et des saignements mettant en jeu le pronostic vital de +52%. Il est donc clair que le prasugrel induit un surrisque d’hémorragies majeures. Cependant cette molécule réduit la fréquence des évènements ischémiques mortels et non mortels. Se pose alors la question de décider de l’intérêt clinique de ce traitement en présence d’effets indésirables graves.

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Ainsi, le vieil adage « primun non nocere », toujours enseigné et fréquemment cité, tient plus d’une certaine scolastique universitaire que de la réalité actuelle de la thérapeutique de nombreuses pathologies. Traiter dans ces situations peut nuire au patient, mais avec une probabilité bien plus faible que celle de lui apporter un bénéfice. Au total, la balance bénéfice risque est très positive. Si la priorité était d’abord d’éviter de pouvoir nuire aux patients, ce type de traitements ne pourrait pas être envisagé compte tenu de leur potentialité de nuisance (d’effets indésirables graves). Pourtant ces traitements apportent un réel bénéfice clinique (cf. section suivante) et illustrent bien le fait qu’actuellement, la question n’est pas l’absence d’effet indésirable, mais une probabilité de bénéfice supérieure à la probabilité d’un évènement délétère . La problématique est quantitative et peut être résolue par l’intégration quantitative du bénéfice et du risque à l’aide de différents outils comme le calcul du bénéfice clinique net (cf. section 6).

Au stade précoce du mélanome, après résection chirurgicale satisfaisante, la pratique standard était une expectative attentive, sans traitement adjuvant. L’ipilimumab en adjuvant a été évalué versus placebo dans l’essai randomisé EORTC 18071 [22] . Cinq décès toxiques (grade 5) par effet indésirable immunologique ont été observés dans le groupe ipilimumab, ce qui au premier abord semble remettre en question l’intérêt de ce traitement instauré dans une situation où jusqu’à présent la règle était l’abstention thérapeutique.

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Cependant, malgré ces décès toxiques, l’essai démontre une réduction de la mortalité :

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Le nombre de décès évités par le traitement est nettement supérieur à celui des décès toxiques, faisant que la probabilité à priori que le patient bénéficie du traitement plutôt qu’il n’en pâtisse est plutôt favorable, comme en témoigne la réduction relative du risque instantané de décéder de 28% estimée par le hazard ratio. Cet exemple montre la piste du raisonnement du bénéfice clinique net : intégrer quantitativement le risque avec le bénéfice pour montrer que le bilan net est positif. C’est ce que fait ici la mortalité totale en intégrant les décès toxiques avec les décès évités par l’efficacité du traitement. Au total le nombre net de décès est réduit. D’autres traitements (anti PD-1 et l’association dabrafenib/trametinib) ont aussi montré leur bénéfice dans cette indication tout en n’entrainant pas de décès toxiques. Ils sont utilisés préférentiellement [23] .