2.3 Pourquoi faut-il avoir des preuves du bénéfice clinique des traitements

     

La vérification par des faits prouvés (evidence ) que les nouveaux traitements apportent bien le bénéfice clinique escompté s’est avérée indispensable au cours du temps pour plusieurs raisons note n° 3 .

Les mécanismes ne prédisent pas avec certitudes le bénéfice. Un effet pharmacologique ne produit pas forcément le bénéfice clinique attendu, car nos connaissances sur les mécanismes d’action et la physiopathologie des maladies sont encore parcellaires.

Épidémiologiquement, le HDL cholestérol apparait être un facteur protecteur des évènements et de la mortalité cardiovasculaires. Le torcetrapib est un inhibiteur de la CEPT qui pharmacologiquement entraine une élévation du HDL cholestérol et une diminution du LDL cholestérol en association ou non aux statines. L’essai ILLUMINATE [2] a évalué le torcetrapib versus placebo en association à l’atorvastine chez 15067 sujets à haut risque cardiovasculaire. Contre toute attente, malgré la confirmation de ses effets pharmacologiques avec une augmentation de 72% du HDL et une réduction de 25% du LDL, il n’a pas été observé de réduction des évènements cardiovasculaires comme attendus, mais une augmentation (hazard ratio 1.25 IC95% [1.09 ; 1.44]) ainsi qu’une augmentation de la mortalité totale (hazard ratio 1.58 [1.14 ; 2.19]). L’essai ne permet pas de déterminer la cause de cette surmortalité et n’exclut pas la possibilité qu’elle soit la conséquence de l’inhibition de la CEPT.

Cet exemple illustre bien les limites des raisonnements basés sur les mécanismes d’action et les effets intermédiaires. La vérification par des faits prouvés que le mécanisme d’action apporte bien aux patients les bénéfices cliniques escomptés est indispensable.


Même après des études de phase 2 concluantes, les échecs des phase 3 (dont le but est de démontrer le bénéfice) sont fréquents, aux alentours de 50 [3]. Ce résultat montre qu’il n’est pas possible de se passer de la vérification des théories et des hypothèses thérapeutiques par les essais cliniques conçus pour mettre en évidence le bénéfice clinique.

L’utilisation sans preuve de traitements expose à un risque de perte de chance pour les patients si le traitement est en réalité sans intérêt clinique. De plus il n’est pas possible d’exclure un effet délétère.

Au début des années 1980, il avait été pris comme habitude de donner des antiarythmiques de classe 1c aux patients qui présentent de nombreuses extrasystoles ventriculaires (ESV) après un infarctus du myocarde, dans le but de prévenir la mort subite. Le raisonnement partait de la constatation que la fréquence des ESV était corrélée avec le risque de mort subite et que les antiarythmiques de classe 1c réduisent drastiquement les ESV. Cette pratique a été établie sans preuve de la prévention de la mort subite. Ce n’est qu’au bout de 10 ans que l’essai de mortalité a été entrepris (alors qu’il aurait dû l’être avant l’établissement de cette pratique thérapeutique). A la place de confirmer la prévention des morts subites, cet essai [ 10.1056/NEJM199103213241201 ] à montrer une multiplication par 3 de la mortalité.

Plus récemment, l’hydroxychloroquine a été proposée comme traitement dans la COVID-19 sans preuve clinique, sur la base d’étude in vitro d’activité de ce produit sur le virus et d’études cliniques non randomisées, présentant de nombreuses limites méthodologiques. Il s’agissait d’une utilisation compassionnelle motivée par la gravité de la maladie et absence de ressources thérapeutiques curatrices. Malgré tout, en s’affranchissant de ce contexte émotif, des essais randomisés ont été entrepris, comme RECOVERY [ 10.1056/NEJMoa2022926 ]. Ces essais n’ont pas permis de mettre en évidence de bénéfice et leur méta-analyse montre une augmentation de la mortalité [ 10.1038/s41467-021-22446-z ]. Cet exemple montre que, même dans un contexte d’urgence grave, il n’est pas possible d’envisager un usage compassionnel sans preuve, compte tenu des limites des données préliminaires.


Une des raisons pouvant expliquer pourquoi des effets pharmacologiques prometteurs ne débouchent pas toujours sur un bénéfice clinique réside dans les limites des études in-vitro et des études cliniques préliminaires. Il est connu que les modèles animaux ou cellulaires peuvent ne pas être prédictifs de ce qui se passe chez l’homme. Les études précliniques et cliniques précoces souffrent souvent de lacunes méthodologiques majeures. De plus un biais de publication ou de « selective reporting » des résultats peut distordre complètement la perception de la réalité en ayant conduit à la publication exclusive des résultats faussement positifs. Les raisonnements qui extrapolent le bénéfice à partir de l’effet sont aussi parfois trop simplistes ou optimistes et néglige les problématiques de pharmacocinétique (est-il possible d’atteindre la concentration efficace à l’effecteur ?) ou de toxicité.

Pour l’hydroxychloroquine, l’idée de son potentiel intérêt provenait d’une étude in vitro montrant une activité de cette molécule sur le virus dans un modèle cellulaire Vero [ 10.1038/s41422-020-0282-0 ]. Ce résultat a ensuite été contredit par une autre étude, réalisée sur des lignées cellulaires de primates plus prédictives de l’action chez l’homme [ 10.1038/s41586-020-2575-3 ]. De plus il avait été négligé que, compte tenu de la pharmacocinétique très particulière de la molécule, il était impossible d’obtenir la concentration nécessaire suivant la 1 er étude avec les doses maximales tolérées.


Ils s’avèrent aussi que l’essai clinique randomisé ne peut pas être remplacé par d’autres types d’études comme les études observationnelles utilisant les données de vraie vie en raison des limites méthodologiques de ces approches difficilement surmontables [4]. Régulièrement des essais randomisés échouent à confirmer des bénéfices suggérés par des études observationnelles montrant ainsi le manque de fiabilité de ces études.

Des études observationnelles suggéraient qu’une supplémentation en vitamine D et calcium pourrait prévenir les adénomes coliques. L’essai randomisé entrepris pour vérifier cette hypothèse à échouer à mettre en évidence un bénéfice [ 10.1056/NEJMoa1500409 ]


[3] Cf. livre blanc