#F023 Mésusage et désinformation autour du bleu de méthylène
De quoi parle-t-on ?
Du mésusage et de la désinformation autour du bleu de méthylène présenté, sans base factuelle, comme remède miracle du cancer par plusieurs publications et médias destinés au grand public.
Pourquoi a-t-on choisi d’en parler ?
Le bleu de méthylène est présenté dans plusieurs journaux et livres destinés au grand public et relayés par les réseaux sociaux comme un remède miracle du cancer.
Le bleu de méthylène est un composé chimique, utilisé notamment dans le traitement de maladies touchant l’hémoglobine, les méthémoglobinémies.
En médecine, le bleu de méthylène est aussi utilisé comme colorant pour des analyses bactériologiques ou pour délimiter certains tissus lors d’actes chirurgicaux.
Des recherches expérimentales ont montré que le bleu de méthylène pourrait avoir une action sur des cultures de cellules du cancer de l'ovaire en raison de ses effets sur les mitochondries de ces cellules (1). Cependant, la concentration en bleu de méthylène qui permet d’observer ces effets in vitro est de 50 micro-molaires (µM), soit plus de dix fois la concentration qui pourrait être obtenue par les doses utilisables chez l’homme.
Il convient de rappeler que dans son utilisation chez l’homme, le bleu de méthylène peut induire des effets indésirables graves incluant le décès.
L’avis de la SFPTEn l’état des connaissances scientifiques, la SFPT recommande de ne pas utiliser le bleu de méthylène en traitement du cancer, et encore moins au détriment des traitements actuellement reconnus comme efficaces. La prise de bleu de méthylène entraîne des risques neurologiques importants et les doses qui permettent d’observer un effet in vitro sont incompatibles avec un usage clinique. Enfin, aucune étude clinique n’a montré de bénéfice lié à ce produit dans les cancers, par conséquent son rapport bénéfice/risque est défavorable dans ce contexte. |
Pour approfondir
Le bleu de méthylène est un composé chimique, notamment utilisé dans le traitement des méthémoglobinémies. Il s'agit de situations où une proportion anormalement élevée d'hémoglobine est sous forme de méthémoglobine, un type d'hémoglobine incapable de transporter efficacement l'oxygène. Cela peut entraîner des symptômes tels que des difficultés respiratoires, une coloration bleuâtre de la peau (cyanose), de la fatigue et, dans les cas graves, des troubles cardiaques ou neurologiques. Ce phénomène peut être causé par certains médicaments ou des produits chimiques (pesticides, nitrites, chlorites, intoxication au monoxyde de carbone)
Le bleu de méthylène active un système enzymatique de type réductase normalement inactif qui transforme le bleu de méthylène en bleu de leuco-méthylène. Ce dernier permet de modifier la méthémoglobine en hémoglobine, alors capable de fixer efficacement l'oxygène et de le transporter aux tissus de l'organisme.
Une théorie selon laquelle le cancer serait avant tout une maladie métabolique liée à une altération de la gestion énergétique des cellules tumorales est avancée dans quelques livres grand public. Cette hypothèse, explorée par la recherche fondamentale, n’a donné lieu à aucune validation clinique. L’utilisation du bleu de méthylène, proposée dans ce cadre comme inhibiteur de la fermentation cellulaire, reste une hypothèse non prouvée qui s’appuie sur la base de données cellulaires à des doses élevées qui elle, comme souvent, ne sont pas utilisables chez l’homme. Dans ce contexte, le bleu de méthylène est proposé sans discernement ni scrupule et présenté comme traitement « ancien » et « sans risque ».
Des recherches expérimentales ont en effet montré que le bleu de méthylène pourrait avoir un effet sur les mitochondries des cellules cancéreuses à des doses très élevées d’au moins 50 µM (1). En stimulant la chaîne de transport mitochondriale d'électrons et la phosphorylation oxydative, il améliorerait l'efficacité énergétique des mitochondries, ce qui conduit à une réduction de la production de lactate, un sous-produit de la glycolyse qui est souvent élevé dans les cellules cancéreuses. Ce processus permettrait de perturber la dépendance des cellules cancéreuses à la glycolyse pour leur survie. L’étude, réalisée in vitro, a montré que, lorsqu'il est combiné avec des traitements comme le carboplatine, le bleu de méthylène peut aider à réduire la résistance des cellules de cancer de l'ovaire (comme les lignées OV1369-R2) à certains anticancéreux, notamment aux anticancéreux dérivés du platine. C’est sur ces données expérimentales cellulaires que l’hypothèse d’un bénéfice du bleu de méthylène dans le cancer est apparue (1). Outre l’absence de données cliniques, il faut à nouveau souligner que la concentration en bleu de méthylène testée pour observer ces effets cellulaires est au moins dix fois supérieure à la concentration que l’on peut obtenir lors d’une utilisation chez l’homme avec une toxicité acceptable.
Le bleu de méthylène peut en effet induire des effets indésirables graves chez l’homme. Dans la base mondiale de pharmacovigilance (Vigibase, OMS), on dénombre 63 observations d’effets indésirables, tous dans le cadre d’usages hors Autorisation de Mise sur le Marché (AMM), dont 9 décès (14%), 14 cas (22%) avec un pronostic vital engagé et 35 cas (56%) avec hospitalisation ou prolongation d’hospitalisation. On observe par ailleurs une augmentation du nombre de cas déclarés en pharmacovigilance dans le temps, avec environ 40% des cas déclarés dans les trois dernières années. Les effets constatés sont des syndromes sérotoninergiques (13 cas, 21%), comas sans précision (7 cas, 11%), encéphalopathies (7 cas, 11%), hypotensions (7 cas, 11%) et insuffisances rénales aiguës (6 cas, 10%). Environ 22% des patients concernés avaient entre 18 et 44 ans et 37% entre 45 et 64 ans. Ces éléments font craindre des conséquences graves d'une utilisation non raisonnée de ce produit, en dehors des recommandations internationales.
Bibliographie
(1) Moreira J. , Schwartz L., Jolicoeur M. In Vitro Methylene Blue and Carboplatin Combination Triggers Ovarian Cancer Cells Death. Int. J. Mol. Sci. 2024, 25, 11005. https://doi.org/10.3390/ijms252011005
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