#F020 Conséquences iatrogènes des pénuries de médicament en France
De quoi parle-t-on ?
Des conséquences médicales des pénuries de médicament en France.
Pourquoi a-t-on choisi d’en parler ?
La problématique des pénuries de médicaments est de plus en plus présente dans le quotidien des professionnels de santé et des patients. Ces phénomènes de pénuries ont un impact négatif sur la qualité de vie des patients, engendrant inconfort et anxiété, voire une interruption des traitements (1). Elles mettent aussi à mal les relations entre pharmaciens, médecins et patients et tendent à diminuer la confiance des patients (2).
Mais qu’en est-il en termes d’iatrogénie médicamenteuse et de conséquences sur la santé ?
L’étude CIRUPT (Conséquences Iatrogènes d'une RUPTure de stock) mise en place par le réseau français des centres régionaux de pharmacovigilance a mesuré l’impact des conséquences médicales des pénuries.
- La 1e étude (3), rétrospective a analysé 462 cas d’effets indésirables (EI) liés à une rupture de stock de médicaments entre 1985 et 2019. Les cas concernaient principalement des médicaments du système nerveux (22,1 %), du système cardiovasculaire (16,4 %) et des anti-infectieux à usage systémique (14,3 %). Une aggravation de la maladie traitée a été observée dans 16 % des cas, principalement en raison d’un manque d’efficacité du médicament de remplacement. Le contexte de rupture de stock expliquait la survenue d’une erreur médicamenteuse (EM) dans 11 % des cas. La moitié des cas avait un critère de gravité. Si l’évolution était le plus souvent favorable (79 % des cas), des décès ou des situations mettant en jeu le pronostic vital ont aussi été rapportés (6 %).
- La 2e étude (4), prospective sur la période 2020-2021 a inclus 224 cas, représentés principalement par des EI liés à la molécule de remplacement (59 %), des EM (23 %) et des inefficacités médicamenteuses (18 %). Près d’un tiers de ces cas étaient graves. Les classes de médicaments les plus représentées étaient les vaccins (35 %), les médicaments pour les troubles liés à l'acidité (anti-H2) (12%), les anticancéreux (8 %) et les antiépileptiques (7 %). Dans 82 % des cas, le médicament en cause avait fait l'objet d'une d'information délivrée aux professionnels de santé par l’ANSM.
L’avis de la SFPT
L’étude CIRUPT met en exergue :
- les conséquences parfois graves des pénuries de médicaments,
- que ces conséquences ne sont pas uniquement liées aux médicaments inscrits sur les listes "d'intérêt thérapeutique majeur ou médicaments essentiels",
- que les informations fournies par les agences de santé ne semblent pas suffisantes pour éviter les risques.
Dans ce contexte, la nécessité d’une politique de santé globale visant à limiter la survenue de pénurie de médicaments et la mise en place de mesures de réduction des risques liés à ces pénuries s’avère urgente.
Pour approfondir
Les pénuries de médicaments (tensions d'approvisionnement, ruptures d'approvisionnement, ruptures de stock) (cf. définition infra) sont un sujet majeur de préoccupation pour le public, les professionnels de santé et les pouvoirs publics. Elles dépassent largement nos frontières puisqu’une enquête réalisée en 2023 par le Groupement pharmaceutique de l'Union européenne (GPUE), montrent que les pénuries n'épargnent aucun des 26 États membres ayant participé. Pour 65% d'entre eux, la situation a même empiré en 2023 (1).
En France, l’une des premières mesures pour limiter l'impact des pénuries de médicaments a consisté à mettre en place une liste de « médicaments essentiels », éditée en 2002 par l’OMS. En 2016, le code de la Santé publique définit MITM comme les médicaments ou classes de médicament pour lesquels une interruption de traitement est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme, ou représente une perte de chance importante pour les patients au regard de la gravité ou du potentiel évolutif de la maladie. La liste des classes thérapeutiques contenant des MITM est fixée par un arrêté (5) mais la liste exhaustive des MITM n’est pas publiée. Il appartient à chaque industriel exploitant d'identifier les spécialités figurant dans son portefeuille qui relèvent des MITM et doivent faire l'objet d'un plan de gestion des pénuries (6). En outre, en juin 2023, le ministère français de la Santé a établi une nouvelle liste des médicaments essentiels (453 médicaments) afin de mieux garantir leur disponibilité (par la relocalisation de la production, le renforcement de la surveillance et la mise en place de solutions d'urgence) (7). Bien que la méthodologie utilisée pour établir cette liste fasse actuellement l'objet d'un débat au sein des sociétés savantes médicales, plus d’un quart des cas impliqués dans l’étude CIRUPT prospective (28 %) n’appartiennent pas à cette liste.
Par ailleurs, l’étude CIRUPT (3-4) met en évidence des erreurs médicamenteuses directement liés au pénuries de médicaments dans près d’un quart des cas. Les étapes de dispensation ou d’administration étaient les plus impactées (notamment dues à une confusion entre deux médicaments et des erreurs de dose). Celles-ci pourraient être diminuées en renforçant de façon systématique l'information des professionnels de santé et l'éducation thérapeutique des patients. Un temps dédié à la consultation pharmaceutique pourrait être proposé aux patients pour leur expliquer les changements liés à la pénurie de médicaments et au changement de médicament.
Du côté des pouvoirs publics, les choses semblent enfin bouger puisqu’une proposition de loi consacrée à la lutte contre les pénuries de médicaments a été adopté fin février 2024 et prévoit de renforcer les obligations faites aux industriels de constituer des stocks de sécurité et de durcir les sanctions en cas de défaut d’approvisionnement. Celle-ci doit encore être examinée au Sénat. (9)
En attendant, la poursuite de la remontée d’information par les professionnels de santé et les patients aux CRPV pour renforcer la surveillance et l’évaluation des conséquences iatrogènes des ruptures de stock reste essentielle. Devant toute suspicion d’effet indésirable, d'interaction médicamenteuse, d’inefficacité de l’alternative ou d’erreur médicamenteuse liée à une rupture de stock : DECLAREZ à votre Centre régional de pharmacovigilance.
Références
- PGEU Medicine shortages report 2023 (PGEU, janvier 2024)
- McLaughlin M et al. Effects on patient care caused by drug shortages: a survey. J Manag Care Pharm 2013 ; 19:783–8.
- Bourneau-Martin D et al. Adverse drug effect in the context of drug shortage: the CIRUPT prospective study from the French pharmacovigilance network. Eur J Hosp Pharm. 2024 Apr 15:ejhpharm-2023-004047
- Bourneau-Martin D et al. Adverse drug reaction related to drug shortage: A retrospective study on the French National Pharmacovigilance Database. Br J Clin Pharmacol. 2023 ;89 :1080-1088.
- Arrêté du 27 juillet 2016 fixant la liste des classes thérapeutiques contenant des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur mentionnés à l'article L.5121-31 du CSP
- https://www.vidal.fr/infos-pratiques/systeme-de-sante-la-gestion-des-penuries-de-medicaments-id15940.html
- Liste Médicaments Essentiels. 2023 https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/listemedicaments-essentiels_acc.pdf
- Position de la SFPT sur La liste des Médicaments Essentiels. 2023 https://sfpt-fr.org/avis-de-la-sfpt/positions-de-la-sfpt/1844-position-de-la-sfpt-sur-la-listedes-m%C3%A9dicaments-essentiels-publi%C3%A9e-par-le-minist%C3%A8re-dela-sant%C3%A9
- Lutte contre les pénuries de médicaments. Propositions de loi Texte n° 375 (2023-2024) transmis au Sénat le 1er mars 2024 https://www.senat.fr/leg/ppl21-861.html
Définitions
- Rupture de stock: impossibilité pour le fabricant ou l'exploitant de fabriquer ou d'exploiter un médicament
- Rupture d'approvisionnement: incapacité pour une pharmacie d'officine ou une pharmacie à usage intérieur (hôpital) de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures, après avoir effectué une demande d'approvisionnement auprès de deux entreprises exerçant une activité de distribution de médicaments (grossiste ou répartiteur) La rupture d'approvisionnement peut être imputable notamment à une rupture de stock, mais peut éventuellement avoir d'autres causes (répartition géographique des stocks par exemple).
- Tensions d'approvisionnement: médicament disponible mais en quantité insuffisante pour répondre aux besoins.
- Dernière mise à jour le .