#F019 Traitement de la douleur aiguë par le tramadol : pourquoi est-il important de prescrire pour une durée la plus courte possible et de privilégier la dispensation des conditionnements de petite taille?
De quoi parle-t-on ?
De l’intérêt des conditionnements de petite taille (10 ou 15 comprimés ou gélules) de tramadol pour prévenir les risques de troubles de l’usage du ce médicament et des conséquences néfastes de son surdosage.
Pourquoi a-t-on choisi d’en parler ?
A la demande de l’ANSM, en plus des conditionnements de tramadol déjà existants, des boîtes renfermant de plus faibles quantités de gélules ou comprimés ont été récemment commercialisés par les laboratoires pharmaceutiques. Une communication de l’ANSM a accompagné l’arrivée de ces conditionnements [1].
L’avis de la SFPT
En plus de la nécessité d’accompagner les patients avec des difficultés de sevrage du tramadol (nécessité de sevrage très progressif et, en cas d’échec, de sa substitution par la buprénorphine voire par la méthadone), il est essentiel d’agir en amont et donc de prévenir l’apparition d’un trouble de l’usage. Les règles de bon usage du tramadol figurent au même titre que pour les autres opioïdes dans les recommandations de l’HAS de 2022 [2]et mettent en exergue que :
1) le traitement opioïde doit résulter d’une décision médicale partagée entre le médecin et le patient,
2) pour les douleurs aiguës, la prescription doit être limitée à 14 jours avec la nécessité de revoir le patient en consultation et qu’une coopération pluriprofessionnelle entre les médecins hospitaliers et les acteurs de soins de santé primaires (médecins et pharmaciens) est indispensable,
3) à la sortie des urgences ou d’un court séjour à l’hôpital, seuls les opioïdes à libération immédiate sont recommandés, à la dose la plus faible possible et pour la durée la plus courte (2 à 3 jours).
Pour le traitement de la douleur aiguë, la dispensation par les pharmaciens de petits conditionnements de tramadol (comprimés ou gélules) devrait aider au respect de la courte durée de traitement spécifiée sur l’ordonnance par le prescripteur. De plus, elle permettra de limiter le stockage de tramadol excédentaire dans les pharmacies familiales ce qui représente un moyen d’obtention facile du tramadol par l’entourage pour s’auto-médiquer ou encore détourner l’usage de ce médicament pour des effets psychoactifs. |
Pour aller plus loin
Le système français d’addictovigilance a pour but de surveiller, évaluer et prévenir le risque des substances psychoactives à potentiel d’abus [3]. L’expertise en addictovigilance repose sur la triangulation de données issues des notifications par les professionnels de santé ou les usagers et de programmes et enquêtes nationales annuelles. Par exemple, les programmes DRAMES et DTA informent sur l’évolution et la part des décès impliquant une substance psychoactive. Le programme OSIAP surveille les médicaments figurant sur les fausses ordonnances. L’enquête OPPIDUM permet d’obtenir des informations sur les consommations et mode d’obtention de substances par des personnes suivies en centre spécialisé dans la prise en charge des addictions [3].
De par son mécanisme d’action opioïde et sérotoninergique, le tramadol présente des effets psychoactifs « positifs » recherchés pour obtenir ses effets de bien être, anxiolytiques, euphorisants ou stimulants. Il est métabolisé dans le foie en O-desméthyltramadol (agoniste bien plus puissant sur le récepteur mu opioïde) par le CYP2D6 dont l’activité est variable suivant les personnes (polymorphisme génétique), conduisant à une intensité des effets antalgiques et des effets indésirables variables selon les individus. Le potentiel d’abus et de dépendance du tramadol conduit à des usages problématiques dont une addiction sévère avec craving (envie irrépressible de consommer une substance) et des conséquences délétères en cas d’abus (risque de décès suite à un surdosage). Ces risques sont observés autant chez les patients traités pour la douleur que les personnes faisant d’emblée un usage détourné du tramadol. Le syndrome de sevrage au tramadol, souvent difficile à surmonter, entretient la prise persistante du médicament pour éviter ces symptômes, et peut apparaitre en moins d’un mois de traitement.
Le tramadol reste l’antalgique opioïde le plus prescrit en France, même si ses ventes ont légèrement diminué dans les dernières années. Les données françaises d’addictovigilance du tramadol ont mis en évidence un doublement de la proportion des cas d’addiction sévère ou d’abus (avec convulsions et décès) entre 2013 et 2018 [4]. Une première mesure règlementaire de limitation de la durée de prescription à 3 mois en avril 2020 s’est accompagnée d’une diminution de l’accroissement annuel du nombre de cas d’abus et de dépendance. Cependant, l’obtention illégale (notamment par fausses ordonnances), et les cas d’usage détourné du tramadol pour ses effets psychoactifs « positifs » ont augmenté en parallèle, les mineurs et adultes de moins de 25 ans représentant plus d’un tiers de ces cas. Enfin, chaque année, le tramadol est le deuxième antalgique opioïde derrière la morphine dans le programme DRAMES (décès par surdosage chez des consommateurs de substances psychoactives) [5].
Le tramadol fait l’objet d’un suivi annuel d’addictovigilance depuis 2010. Les notifications suggèrent un accroissement de l’abus de ce médicament au-delà de 400 mg/j (dose maximale recommandée) parmi les usagers de substances multiples, notamment les adolescents [6]. Chaque année, le tramadol figure dans les premières places des médicaments retrouvés sur les fausses ordonnances. Dans l’enquête OPPIDUM, la part du tramadol en tant que première substance ayant entrainé une dépendance augmente régulièrement2.
Les usages problématiques du tramadol sont observés dans d’autres pays européens ce qui a également conduit à de récentes modifications règlementaires. Ainsi, au Danemark, depuis janvier 2018, ce médicament est soumis à des règles de prescription et de délivrance plus strictes (semblables à celles de la morphine et de l’oxycodone). Il est inscrit sur la liste des substances contrôlées depuis 2022 [7].
Le tramadol n’est pas le seul médicament opioïde à risque d’entrainer un abus et une dépendance et les règles de son bon usage s’appliquent à l’ensemble de ces médicaments.
Références
- https://ansm.sante.fr/actualites/tramadol-moins-de-comprimes-dans-les-boites-pour-un-meilleur-usage
- https://www.has-sante.fr/jcms/p_3215131/fr/bon-usage-des-medicaments-opioides-antalgie-prevention-et-prise-en-charge-du-trouble-de-l-usage-et-des-surdoses
- https://addictovigilance.fr/
- Roussin A, Soeiro T, Fouque C, Jouanjus E, Frauger E, Fouilhé N, Mallaret M, Micallef J, Lapeyre-Mestre M; French Addictovigilance Network (FAN). Increase of high-risk tramadol use and harmful consequences in France from 2013 to 2018: Evidence from the triangulation of addictovigilance data. Br J Clin Pharmacol. 2022 Aug;88(8):3789-3802. doi: 10.1111/bcp.15323. Epub 2022 Apr 5. PMID: 35318713; PMCID: PMC9545570.
- Revol B, Willeman T, Manceau M, Dumestre-Toulet V, Gaulier JM, Fouilhé Sam-Laï N, Eysseric-Guérin H; Compagnie Nationale des Biologistes et Analystes Experts (CNBAE) and the French Addictovigilance Network (FAN). Trends in Fatal Poisoning Among Drug Users in France From 2011 to 2021: An Analysis of the DRAMES Register. JAMA Netw Open. 2023 Aug 1;6(8):e2331398. doi: 10.1001/jamanetworkopen.2023.31398. PMID: 37647066; PMCID: PMC10469283.
- https://ansm.sante.fr/uploads/2023/03/27/20221129-cr-csp-psa.pdf
- Andersen CU, Ahmed H, Raedkjaer M, Hasselstrøm JB, Larsen MK. Deaths caused by medication in persons not using illicit narcotic drugs: An autopsy study from Western Denmark. Basic Clin Pharmacol Toxicol. 2023 Jan;132(1):111-119. doi: 10.1111/bcpt.13808. PMID: 36281709. PMCID: PMC10092188
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