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#F015 Traitement de désensibilisation aux Arachides

De quoi parle-t-on ?

Des traitements visant à diminuer l’intensité des réactions allergiques aux arachides, en administrant quotidiennement des petites quantités de l’allergène.

Pourquoi a-t-on choisi d’en parler ?

Les traitements de désensibilisation actuellement disponibles ou en cours de développement sont des médicaments par voie orale ou sous-cutanée, ayant démontré leur efficacité pour réduire la survenue d'une réaction allergique lors d’une prise contrôlée d’arachides (1). Il existe cependant des inquiétudes concernant la sécurité de ces immunothérapies par voie orale ou injectable, notamment la survenue de réactions anaphylactiques ayant conduit à l’administration d’adrénaline pouvant concerner jusqu’à 22% des patients traités par voie orale, et d’intolérances digestives. La recherche d’alternatives mieux tolérées reste donc un enjeu majeur pour les patients et les parents.
Un article récemment publié dans le New England Journal of Medicine rapporte les résultats d’un essai clinique de phase 3 d’un patch épicutané contenant un extrait protéique lyophilisé d’arachide, dans une population de 362 enfants âgés de 1 à 3 ans (2). Cette étude retrouve que 67,0% des patients dans le bras traitement, contre 33,5% des patients dans le bras placebo, ne présentent plus de symptomatologie allergique après l’ingestion de l’équivalent de 1 à 3 cacahuètes, soit 30 à 100 fois plus que la quantité ayant déclenché des symptômes lors du test de provocation allergénique pratiqué à l’inclusion.
Si ces résultats sont numériquement moins probants que ceux constatés avec les comprimés par voie orale, le profil de sécurité semble plus favorable.
En effet, même si les patients recevant le traitement font plus de réactions anaphylactiques (7,8% des patients sur 1 an) que les patients sous placebo (3,4%), ces chiffres sont plus bas que dans des études concernant des enfants plus âgés et/ou utilisant la voie orale.
Par comparaison avec la voie orale, il n’est plus observé de sur-risque d'événements indésirables respiratoires ou digestifs. En contrepartie, on constate des réactions cutanées locales très fréquentes (95,9% sous traitement, vs 63,6% sous placebo), mais pouvant être contrôlées par dermocorticoïdes .

L’Avis de la SFPT

L’objectif d’un traitement de désensibilisation doit être de pouvoir avoir une exposition accidentelle (sous forme de traces d’arachide notamment), sans avoir à craindre la survenue d’une réaction grave.
Les essais cliniques sur les traitements de désensibilisation ne sont qu’une preuve de concept de la sécurité vis-à-vis de l’ingestion accidentelle. Les traitements de désensibilisation nécessitent une confirmation en vie réelle de leur capacité à éviter des réactions anaphylactiques.
La SFPT propose de poursuivre l’évaluation de ces thérapeutiques par la réalisation d’études de pharmaco-épidémiologie étudiant la survenue de réaction anaphylactique en vie réelle chez des patients traités par immunothérapie de désensibilisation en comparaison avec des patients non traités.

Pour approfondir :

Qu’apporte cette étude ?

Cette étude évalue l’efficacité et la sécurité d’une immunothérapie par patch épicutané chez des enfants de 1 à 3 ans, ayant une allergie confirmée aux arachides. Le patch était appliqué quotidiennement, avec une augmentation progressive de la durée d’exposition jusqu’à 24 heures par jour. Il n’y avait pas de limitation d’activité (notamment de bain) lors du port du patch.
L’étude a inclus 362 patients, dont 244 ont été attribués à l’intervention, et 118 à un patch contenant un placebo. Les caractéristiques des patients étaient équilibrées entre les deux groupes.
Le critère de jugement principal était le nombre de patients ne présentant pas de réaction après l’administration sous surveillance médicale d’une dose prédéfinie d’arachide. Cette dose était de 300 mg (l’équivalent d’une cacahuète) chez les patients qui n’avaient pas supporté une dose de 10mg avant l’étude, et de 1000 mg sinon.
Parmi les patients dans le bras intervention, 67% ont supporté la dose prédéfinie, contre 33,5% dans le bras contrôle, soit une différence de 33,4 points (intervalle de confiance 22,4-44,5). L’augmentation médiane de la dose maximale tolérée était de 900 mg dans le bras traitement, contre 0 mg dans le bras placebo.
Concernant les données de sécurité, l’effet indésirable le plus courant était une réaction cutanée localisée. Celui-ci était rapporté par 98,0% des patients dans le bras traitement et 90,7% dans le bras placebo. En limitant l’analyse aux effets indésirables ayant duré plus de 3 mois au total, ils concernaient 81,6% du bras traitement, contre 55,1% du bras placebo. Ces effets indésirables cutanées étaient légers ou modérés, sauf un seul cas de réaction cutanée sévère ayant mené à l’arrêt du traitement.
Des réactions anaphylactiques sont survenues chez 7,8% des patients dans le bras intervention et 3,4% dans le bras placebo. Chez 10,2% des patients dans le bras intervention contre 6,8% dans le bras placebo, ces réactions ont conduit à l’administration d’adrénaline pour des réactions anaphylactiques ou des réactions allergiques généralisées sans les critères de sévérité d’une réaction anaphylactique. Des effets indésirables graves ont été rapportés chez 8,6% des patients  dans le bras intervention et 2,5 % dans le bras placebo. La très grande majorité de ces réactions de type anaphylactique ou des effets indésirables graves n’était pas considérée comme directement liée au traitement (ingestion d’autres aliments auxquels les patients étaient allergiques, bronchiolites virales,…)
Les auteurs rapportent également les expositions accidentelles aux arachides, survenues chez 9,8% des patients dans le bras intervention et 12,7% des patients dans le bras placebo. Dans le bras intervention, ces expositions accidentelles se sont compliquées de réactions anaphylactiques dans 12,5% (3/24) des cas, contre 20% (3/15) des cas dans le bras contrôle.
Cette différence numérique de réaction anaphylactique aux expositions accidentelles est encourageante, mais il est important de noter que l’étude n’était pas prévue pour évaluer la significativité de cette différence.
Au total, les résultats de cet essai sont encourageants, avec des données de sécurité plus avantageuses par rapport à la voie orale, mais avec toujours un surrisque de réactions anaphylactiques dans le bras traitement, à mettre en balance avec la diminution possible des réactions anaphylactiques associées aux expositions accidentelles.

Ce que l’on savait déjà :  

L’allergie aux arachides :

 L’allergie aux arachides concerne environ 2 à 3% des enfants dans les pays occidentaux (3). Elle fait partie des allergies alimentaires les plus courantes et des allergies dont le retentissement est le plus important (avec en autre les œufs, les noix, les poissons, et les crustacés). On constate une augmentation de la prévalence des allergies alimentaires dans les pays occidentaux (4).
Si des allergies aux arachides peuvent survenir à l’âge adulte, la majorité des allergies sont diagnostiquées chez l’enfant. Parmi les allergies alimentaires, certaines connaissent fréquemment une amélioration au cours du temps (par exemple 89% des enfants allergiques aux œufs à 1 an ne présentent plus de réaction à l’âge de 6 ans). C’est moins fréquemment le cas de l’allergie aux arachides, et les études montrent qu’environ 20 à 30% de ces allergies constatées à l’âge d’un an présente une résolution spontanée à l’âge de 6 ans (5). Il n’est donc pas rare que l’allergie se poursuive à l’âge adulte.
Pour les patients présentant une allergie aux arachides, une réaction peut prendre la forme de symptômes cutanés, digestifs ou respiratoires, et parfois nécessiter une intervention médicale urgente. Ces réactions peuvent survenir même avec des quantités très faibles d’arachide : à titre d’exemple, les enfants inclus dans l’étude citée (2) présentent tous une réaction à une quantité inférieure à l’équivalent d’un cacahuète (300mg), et environ un tiers de ces enfants réagissent à une quantité équivalente à un dixième de cacahuète.
Il est recommandé pour tous ces patients une consultation médicale afin de confirmer l’allergie, ainsi que dépister les autres allergies alimentaires. La prise en charge repose ensuite principalement sur l’éviction complète des arachides, ainsi que sur la mise à disposition d’adrénaline auto-injectable. En effet l’adrénaline est le traitement de référence des réactions anaphylactiques (allergies immédiates). Ainsi l’entourage de l’enfant est formé aux signes à reconnaître ainsi qu’à l’utilisation de l’adrénaline sous forme de stylo pré-remplis pour injection sous-cutanée.
Si cette éviction et la mise à disposition d’adrénaline est indispensable, et permet de limiter la gravité de l’allergie, de nombreuses études ont montré l’impact psychosocial des allergies alimentaires sur les enfants et sur leurs parents (6).

Les traitement de désensibilisations :

Ainsi, des stratégies de désensibilisations ont été élaborées, dont l’objectif est d’augmenter la dose d’allergène déclenchant une réaction allergique, afin de limiter la fréquence et la sévérité des réactions en lien avec des expositions accidentelles. Les bénéfices cliniques attendus de ce genre de traitement sont de diminuer le nombre de réactions imprévisibles et la morbidité qui leur sont associées.
Le seul traitement de désensibilisation actuellement disponible est un médicament par voie orale (Palforzia ®, Aimmune Therapeutics). Ce médicament est indiqué dans le traitement de l’allergie aux arachides, chez des patients de 4 à 17 ans, en association à un régime d’éviction. D’autres voies d’administrations sont en cours de développement, dont les principales sont la voie épicutanée (Viaskin®, DVB Technologies) et la voie sublinguale (pas de nom de spécialité déposé).
Une des limites des traitements de désensibilisation est leur faible taux d’induction de tolérance soutenue (c’est-à-dire de poursuite de l’effet protecteur vis-à-vis d’un test de provocation par voie orale après l’arrêt du traitement de désensibilisation). Par exemple, dans un essai concernant les enfants de 1 à 3 ans (7), si 71% des enfants traités ne présentaient pas de réactions à un test de provocation après 134 semaines de traitements, seuls 21% présentaient le même profil après 26 semaines d’arrêt. Ce chiffre est certes statistiquement plus élevé que le bras placebo (2%), mais tout de même décevant par rapport aux résultats en cours de traitement.

L’immunothérapie par voie orale :

L'immunothérapie par voie orale (OIT pour Oral Immunotherapy) a montré son efficacité pour augmenter la dose d’arachide provoquant une réaction allergique chez des patients âgés de 4 à 17 ans (1). Cependant, ce traitement est également associé à de nombreux événements indésirables. En effet, dans l’essai, 14,2% des patients traités par OIT ont présenté une réaction allergique systémique au cours du traitement contre 3,2% des patients traités par placebo. On retrouve également de nombreux effets indésirables digestifs, qui ont mené à l’arrêt du traitement pour 4,3% des patients, avec au moins un cas confirmé d’oesophagite à éosinophiles.
Plus largement, une méta-analyse a été publiée en 2019 dans The Lancet (8), regroupant 10 essais contrôlés randomisés évaluant un traitement par OIT, ayant inclus un total de 1041 patients. Cette méta-analyse montre que même si les traitements par OIT étaient efficaces pour réduire la réaction à un test de provocation standardisé par voie orale, ils étaient associés à une augmentation des réactions anaphylactiques (rapport de risque (RR) 3,12 [1,76-5,55]), à une augmentation des réactions ayant conduit à l’administration d’adrénaline (RR 2,21 [1,27-3,83]) et une augmentation des effets indésirables graves (RR 1,92 [1,00-3,66]). Cette méta-analyse n’avait également pas permis de mettre en évidence d’amélioration de la qualité de vie.
Cette méta-analyse présente plusieurs limitations. On peut par exemple évoquer que sont considérées comme équivalentes la survenue d’une réaction anaphylactique contrôlée au décours immédiat de la prise du traitement, et la survenue aléatoire d’une réaction liée à une exposition accidentelle.
Il est à noter cependant que dans l’essai sur le patch épicutané (2), la majorité des réactions anaphylactiques surviennent non pas avec le traitement, mais avec d’autres allergènes, souvent en lien avec une autre allergie connue de l’enfant. Ainsi peut-on se demander si le surrisque de réaction anaphylactique constaté correspond bien à des réactions attendues.
Il apparaît donc nécessaire de chercher à mettre en œuvre des solutions pour limiter ces effets indésirables.

Une hypothèse pour limiter les effets indésirables concerne l’âge de début de désensibilisation. En effet, la majorité des études a été réalisée avec des patients de 4 à 17 ans. Ce choix, vient du fait que 20 à 30% des enfants présentant une allergie à l’âge de 1 an, ne feront plus de réaction à l’âge de 4 ans, et ce en l’absence de traitement (5). A l’autre extrême, les adultes ont été exclus d’un certain nombre d’essais, principalement parce que les données d’efficacité de l’adulte sont décevantes.
Bien que des études plus approfondies soient nécessaires, certaines études ont émis l’hypothèse que la tolérance des immunothérapies par voie orale était meilleure chez les enfants de moins de 4 ans (9). Cette hypothèse est également soutenue par le fait que chez les très jeunes enfants à risque de développer une allergie, l’introduction d’arachide permet une prévention de la survenue d’allergie (10). Ce résultat suggère que le système immunitaire plus jeune est plus sensible et permissif vis-à-vis de la désensibilisation.
Il convient alors de repérer les enfants à risque de maintenir leur allergie dans le temps, et qui bénéficieront donc de l’introduction plus précoce d’une immunothérapie, qui pourrait être mieux tolérée.

Références

1.  Vickery BP, Vereda A, et al. AR101 Oral Immunotherapy for Peanut Allergy. N Engl J Med. 22 nov 2018;379(21):1991‑2001.
2.  Greenhawt M, Sindher SB, et al. Phase 3 Trial of Epicutaneous Immunotherapy in Toddlers with Peanut Allergy. N Engl J Med. 11 mai 2023;388(19):1755‑66.
3.  Peters RL, Koplin JJ, et al. The prevalence of food allergy and other allergic diseases in early childhood in a population-based study: HealthNuts age 4-year follow-up. J Allergy Clin Immunol. juill 2017;140(1):145-153.e8.
4.  Sicherer SH, Sampson HA. Food allergy: A review and update on epidemiology, pathogenesis, diagnosis, prevention, and management. J Allergy Clin Immunol. janv 2018;141(1):41‑58.
5.  Peters RL, Guarnieri I, et al. The natural history of peanut and egg allergy in children up to age 6 years in the HealthNuts population-based longitudinal study. J Allergy Clin Immunol. sept 2022;150(3):657-665.e13.
6.  Shaker MS, Schwartz J, Ferguson M. An update on the impact of food allergy on anxiety and quality of life. Curr Opin Pediatr. août 2017;29(4):497.
7.  Jones SM, Kim EH, et al. Efficacy and safety of oral immunotherapy in children aged 1-3 years with peanut allergy (the Immune Tolerance Network IMPACT trial): a randomised placebo-controlled study. Lancet Lond Engl. 22 janv 2022;399(10322):359‑71.
8.  Chu DK, Wood RA, et al. Oral immunotherapy for peanut allergy (PACE): a systematic review and meta-analysis of efficacy and safety. Lancet Lond Engl. 1 juin 2019;393(10187):2222‑32.
9.  Soller L, Abrams EM, et al. First Real-World Effectiveness Analysis of Preschool Peanut Oral Immunotherapy. J Allergy Clin Immunol Pract. mars 2021;9(3):1349-1356.e1.
10.Du Toit G, Roberts G, et al. Randomized Trial of Peanut Consumption in Infants at Risk for Peanut Allergy. N Engl J Med. 26 févr 2015;372(9):803‑13.

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