#F013 Corticoïdes et pneumopathies communautaires
De quoi parle-t-on ?
De l’utilisation des corticoïdes systémiques en traitement adjuvant des pneumopathies communautaires de l’adulte. (Dequin PF et al. N Engl J Med 2023; 388:1931-1941 https://doi.org/10.1056/NEJMoa2215145)
Pourquoi a-t-on choisi d’en parler ?
Parce que la pneumopathie communautaire est l’infection la plus fréquente partout dans le monde (489 millions de cas en 20191), et qu’elle est responsable d’une morbi-mortalité considérable. Chez les patients hospitalisés, la mortalité à un mois est d’environ 10 ou 12% dans les pays riches, très dépendante de l’âge et des comorbidités2. Chez les patients traités par ventilation mécanique, elle peut approcher 30%3,4. Si une petite vingtaine d’études ont comparé corticoïdes et placebo ou soins courants dans la pneumopathie, elles sont très hétérogènes en termes de sévérité des patients inclus, de modalités de la corticothérapie, et de qualité méthodologique. De nombreuses méta-analyses de ces études ont été réalisées, concluant parfois à un gain de survie avec les corticoïdes dans les formes sévères5, mais l’exclusion des études observationnelles et des essais à risque de biais fait conclure à une absence de bénéfice prouvé6.
Or un essai multicentrique français récemment publié montre une amélioration de la survie au 28ème jour chez des patients de réanimation atteints de pneumopathie communautaire et recevant de l’hydrocortisone, par rapport à ceux recevant un placebo7.
L’avis de la SFPT
Les patients adultes et immunocompétents atteints de pneumopathie communautaire et hospitalisés en réanimation, soit traités par ventilation mécanique, soit recevant de l’oxygène avec un rapport entre la pression partielle en oxygène du sang artériel et la fraction inspirée d’oxygène (PaO2/FiO2) inférieur à 300, devraient recevoir précocement une perfusion d’hydrocortisone à dose modérée (200 mg/j), poursuivie en fonction de l’évolution clinique et interrompue dès la sortie de réanimation. Des travaux complémentaires devront aider à préciser les patients les plus susceptibles de bénéficier de ce traitement. Les données disponibles ne permettent pas de retenir un effet-classe, et d’autres corticoïdes ne peuvent à ce stade être recommandés.
Pour approfondir
Deux essais récemment publiés apportent des éléments nouveaux quant à cette question, du moins pour les formes les plus sévères, celles admises en réanimation ou unité de soins intensifs.
L’essai ESCAPe8 a été réalisé dans 42 centres de réanimation des Etats-Unis et a inclus 584 patients analysables. Après randomisation, 297 patients ont reçu de la méthylprednisolone à dose modérée (40 mg/j) administrée en perfusion continue, au plus tard 96 heures après l’admission en réanimation, et poursuivie jusqu’au 20ème jour, si nécessaire avec un relais oral, avec une décroissance progressive de la dose ; 287 autres patients ont reçu un placebo. Le recrutement a été interrompu précocement pour lenteur des inclusions et faible probabilité que l’inclusion des patients manquants change le résultat. Il n’a pas été trouvé de différence ni pour le critère de jugement principal (la mortalité au 60ème jour, de 16% dans le groupe méthylprednisolone et de 18% dans le groupe placebo), ni pour aucun des critères secondaires pré-spécifiés.
L’essai CAPE COD7 a été réalisé dans 31 centres de réanimation français et a inclus 800 patients, dont 795 analysables. Après randomisation, 400 patients ont reçu de l’hydrocortisone à dose modérée (200 mg/j) administrée en perfusion continue, au plus tard 24 heures après l’apparition d’un critère de sévérité (parmi 4 possibles), et poursuivie jusqu’au 8ème ou 14ème jour, en fonction de l’amélioration du patient constatée au 4ème jour, et dans tous les cas arrêtée à la sortie de réanimation, là aussi avec une décroissance progressive de la dose ; 395 autres patients ont reçu un placebo. Le recrutement a dû être interrompu avec la 1ère vague COVID-19. L’analyse intermédiaire prévue a été réalisée avec retard en raison de l’épidémie ; elle a conduit le comité de surveillance indépendant à préconiser l’arrêt des inclusions. Le critère de jugement principal était la mortalité au 28ème jour. Elle était de 6,2% (intervalle de confiance à 95%, IC95% : 3,9 à 6,8%) dans le groupe hydrocortisone, et de 11,9% (IC95% : 8,7 à 15,1%) dans le groupe placebo, une différence significative (P=0,006). Les autres critères secondaires étaient également en faveur de l’hydrocortisone : plus faible mortalité au 90ème jour, moindre recours à l’intubation pour ventilation mécanique ou à un traitement vasopresseur chez les patients n’en recevant pas à l’inclusion. La tolérance a été bonne : égale répartition des effets indésirables, incidence non significativement différente des infections nosocomiales y compris des pneumopathies acquises sous ventilation mécanique, incidence très faible des hémorragies digestives, comparable entre les groupes. Néanmoins, parmi les patients traités par insuline, les patients recevant de l’hydrocortisone ont reçu de plus fortes doses d’insuline pendant la première semaine que ceux recevant le placebo.
Ces deux essais sont donc discordants. La gravité des patients inclus semble très proche dans les deux essais, qu’elle soit évaluée par la proportion de patients sous ventilation mécanique à l’inclusion (33,0% pour ESCAPe vs. 44,4% pour CAPE COD), par celle des patients traités par vasopresseurs (13,0 vs. 11,6%), ou par la répartition des groupes de sévérité selon le classique score de Fine9 (80,2 vs. 82,6% de patients des groupes IV et V). En revanche, la proportion de femmes incluses étaient très différentes : 3,6% dans l’essai américain réalisé dans des hôpitaux de l’administration des Veterans, 30,6% dans l’essai français. Un bénéfice plus important chez les femmes ne peut être exclu.
D’autre part, le corticoïde administré n’était pas le même. Si les doses équivalentes en effet glucocorticoïde étaient identiques, l’hydrocortisone avait un effet minéralocorticoïde deux fois plus élevé que la méthylprednisolone, aux limites près de ces équivalences nécessairement approximatives. Or le seul essai préalable, de faible effectif, ayant suggéré une amélioration de survie avec les corticoïdes avait aussi utilisé l’hydrocortisone10.
Enfin, l’essai ESCAPe, neutre, avait choisi un traitement long (20 jours pour tous) pouvant être débuté relativement tardivement après l’admission, là où l’essai CAPE COD avait choisi un traitement court (14 jours au maximum, mais avec une durée médiane de 5 jours) et un début précoce (en médiane, 12 heures après la constation du critère de sévérité qualifiant).
Ainsi, l’hydrocortisone doit être administrée à dose modérée, débutée rapidement après le constat de sévérité de la pneumopathie, et administrée pour une durée courte, modulée en fonction de l’amélioration du patient.
Ces résultats sont-ils applicables hors réanimation ?
Les critères de sévérité utilisés dans l’essai CAPE COD correspondent clairement à des patients de réanimation, chez qui la nécessité d’un traitement transitoire par insuline pose peu de questions de faisabilité.
Pour les patients hospitalisés en services de médecine, deux essais multicentriques larges ont montré qu’une corticothérapie courte par voie orale (prednisone 50 mg/j pendant 7 jours11 ou dexaméthasone 6 mg/j pendant 4 jours12), comparée à un placebo, accélérait la guérison clinique11,12, diminuait un peu la durée d’hospitalisation11,12, et diminuait la proportion de transferts secondaires en réanimation12. La mortalité (par définition faible) n’était pas différente entre les groupes. Cependant, le recours plus fréquent à l’insuline était là aussi un effet secondaire observé dans le groupe des patients recevant un corticoïde. De ce fait, la balance bénéfice/risque de ce traitement reste difficile à apprécier.
Références
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- Dequin PF, Meziani F, Quenot JP et al. Hydrocortisone in severe community-acquired pneumonia. New Engl J Med 2023;388:1931-41. https://doi.org/10.1056/NEJMoa2215145
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