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#F012 L’augmentation de l’utilisation de l’oxycodone dans la prise en charge de la douleur

De quoi parle-t-on ?

De l’augmentation inquiétante de l’utilisation de l’oxycodone dans la prise en charge de la douleur.

Pourquoi a-t-on choisi d’en parler ?

L’oxycodone est le premier médicament qui a été au centre de la crise des opioïdes aux États-Unis. La grande majorité des patients rapportant un trouble de l’usage, prenait initialement l’oxycodone dans le cadre d’une prescription médicale.
En France, son implication dans les décès toxiques par antalgiques a quadruplé entre 2013 et 2017.  En 2017, si en France la morphine était toujours le premier antalgique opioïde de palier 3 utilisé, elle était suivie de près par l’oxycodone en forte augmentation (+738 % depuis 2006), à la fois en ville et à l’hôpital.
Au même titre que la morphine, c’est un agoniste fort des récepteurs opioïdes. Ces dernières années sa prescription en France suit une progression inquiétante alors qu’elle ne présente pas d’avantage pharmacologique par rapport à la morphine. En l'absence de positionnement clair sur le choix de la molécule de palier 3 en première intention, nous souhaitons rappeler que les différences du point de vue pharmacocinétique et pharmacodynamique entre l’oxycodone et la morphine seraient en faveur d’un risque médicamenteux supérieur avec l’oxycodone.
En effet, l’oxycodone possède une action dopaminergique plus importante et durable que la morphine, ce qui pourrait être associée à un profil plus addictogène. De plus, elle est susceptible de donner des interactions médicamenteuses, et présenterait plus de risque de troubles du rythme cardiaque que la morphine. Enfin, il n’a aucun avantage en termes d’effets indésirables fréquents, notamment sur le risque de constipation strictement comparable à celui de la morphine.

L’avis de la SFPT

Que ce soit concernant l’efficacité, le profil d’effet indésirable, les caractéristiques pharmacocinétiques et pharmacodynamiques ou le risque de trouble de l’usage, il n’y a aucun argument pour préférer la primo-prescription d’oxycodone par rapport à la morphine. La morphine reste à ce jour l’antalgique de palier 3 à privilégier.
Rappel : Les opiacées ne sont pas indiqués dans les douleurs neuropathiques.

Pour approfondir

Pas d’avantage pharmacocinétique et pharmacodynamique

Contrairement à des idées reçues, l’oxycodone n’a pas une action antalgique deux fois plus puissante que la morphine. Par voie intraveineuse, ces deux molécules sont équivalentes en termes d’analgésie. Le rapport d’analgésie différent (1,5-2 Eq morphine) per os est uniquement lié à une meilleure biodisponibilité orale de l’oxycodone par rapport à la morphine (30%) (1). Cependant, la biodisponibilité orale de l’oxycodone est variable (entre 60 % et 80 %) ce qui peut exposer à une variabilité de la réponse clinique plus ou moins importante en particulier chez la personne âgée, chez qui la biodisponibilité des médicaments est augmentée. L’oxycodone se fixe davantage aux protéines plasmatiques (45 %) par rapport à la morphine (30 %) ce qui peut conduire à un risque de surdosage chez les personnes âgées et dénutries.
Si la morphine est glucoronoconjuguée et subit un cycle entéro-hépatique, l’oxycodone est métabolisée par les cytochromes P450 (CYP3A4/5 principalement, et une voie mineure par CYP2D6) et expose donc à un risque d’interaction médicamenteuse. Son utilisation est d’ailleurs déconseillée avec les inhibiteurs (ex : antifongiques azolés) et les inducteurs enzymatiques (ex : rifampicine).
L’oxycodone pourrait avoir un risque d’augmenter de façon dose dépendante l’intervalle QT de l’électrocardiogramme (3,4). L’oxycodone est plutôt lipophile à l’inverse de la morphine, ce qui peut allonger sa demi-vie d’élimination chez la personne âgée en raison de l’augmentation du compartiment graisseux avec l’âge (5,6,7).

Profil de sécurité

Risque accru  de trouble de l’usage ?
Concernant son action sur le système dopaminergique, plusieurs études ont mis en évidence une action dopaminergique plus importante et durable qu’avec la morphine (7,8,9). Sa plus importante lipophilie peut également concourir à ce risque. Une étude ayant comparé la persistance de la prescription de l’oxycodone par rapport au tapentadol en post opératoire, avait conclu à une plus forte persistance de l’oxycodone. Il existe donc plusieurs arguments suggérant que l’oxycodone présenterai un risque élevé de trouble de l’usage (10).
L’oxycodone a été le premier médicament au centre de la crise des opioïdes aux États-Unis. D’après les données actuelles d’addictovigilance en France, les signalements de troubles de l’usage impliquant l’oxycodone concernent en grande majorité les sujets exposés initialement dans le cadre d’une prise en charge antalgique (73%).

Intoxications
L’implication de l’oxycodone dans les décès toxiques par antalgiques en France a quadruplé entre 2013 et 2017, en particulier dans des contextes accidentels potentiellement évitables dus à la méconnaissance du produit (« échanges de médicaments pour dormir » chez patient naïf), ou dans un contexte festif. En Australie, des résultats récents sur les opioïdes impliqués dans les admissions aux urgences, ont montré que l’oxycodone était la deuxième substance la plus impliquée dans les admissions ces dix dernières années après la codéine. Toutefois, le nombre d’admission impliquant l’oxycodone n’a cessé de croitre, s’approchant de celui de la codéine (11).

Effets indésirables fréquents
L’oxycodone et la morphine ont des effets indésirables similaires, attribuables à la classe des opioïdes, le plus souvent dose-dépendants. On retrouve classiquement la détresse respiratoire dans les cas de surdosages, et très fréquemment la constipation. Il n’y a pas à ce jour d’étude indiquant une différence de fréquence de la constipation entre morphine et oxycodone. Deux méta-analyses d’essais cliniques préconisaient la morphine comme antalgique de palier 3 de choix, notamment au regard de son moindre coût. La première, comparant l’oxycodone uniquement à la morphine avait conclu à une efficacité et un profil de sécurité comparables avec un OR=1,04 (IC95% 0,77-1,1) pour la constipation (12). On retrouvait les mêmes résultats dans la seconde méta-analyse avec un OR=0,98 (IC95% 0,82-1,16 (13).

Contre-indication et précaution d’emploi superposables
Les précautions d’emplois de l’oxycodone et de la morphine sont superposables en cas d’insuffisance rénale ou hépatique à savoir adaptation de posologie et surveillance clinico-biologique. La seule contre-indication supplémentaire de la morphine par rapport à l’oxycodone concerne les cas d’insuffisance hépatique sévère avec encéphalopathie.

Références

  1. Table pratique d'équiantalgie des opoïdes forts https://sfap.org/system/files/table_pratique_dequiantalgie_octobre_2016.pdf
  2. Gaskell H, Derry S, Stannard C, Moore RA. Oxycodone for neuropathic pain in adults. Cochrane Database Syst Rev. 2016;7(7).
  3. Behzadi M, Joukar S, Beik A. Opioids and Cardiac Arrhythmia: A Literature Review. Med Princ Pract 2018;27:401-414.
  4. Fanoe S, Jensen GB, Sjøgren P, Korsgaard MP, Grunnet M. Oxycodone is associated with dose-dependent QTc prolongation in patients and low-affinity inhibiting of hERG activity in vitro. Br J Clin Pharmacol. 2009;67:172-9.
  5. Kinnunen M, Piirainen P, Kokki H, Lammi P, Kokki M. Updated Clinical Pharmacokinetics and Pharmacodynamics of Oxycodone. Clin Pharmacokinet. 2019;58:705-725.
  6. Tan HP, Conroy T. The Effectiveness of Intravenous Oxycodone in the Treatment of Acute Postoperative Pain: A Systematic Review. J Perianesthesia Nurs Off J Am Soc PeriAnesthesia Nurses 2018;33:865-879.
  7. Capriz F, Chapiro S, David L, et al. Consensus multidisciplinaire d’experts en douleur et gériatrie : utilisation des antalgiques dans la prise en charge de la douleur de la personne âgée (hors anesthésie). Douleurs Éval - Diagn – Trait 2017;18:234‑
  8. Remillard D, Kaye AD, McAnally H. Oxycodone’s Unparalleled Addictive Potential: Is it Time for a Moratorium? Curr Pain Headache Rep. 2019;23:15.
  9. Vander Weele CM, Porter-Stransky KA, Mabrouk OS, Lovic V, Singer BF, Kennedy RT, Aragona BJ. Rapid dopamine transmission within the nucleus accumbens: dramatic difference between morphine and oxycodone delivery. Eur J Neurosci 2014;40:3041-3054.
  10. Lam T, Xia T, Biggs N, Treloar M, et al. Effect of discharge opioid on persistent postoperative opioid use: a retrospective cohort study comparing tapentadol with oxycodone. Anaesthesia 2023;78:420-431.
  11. Lam T, Hayman J, Berecki-Gisolf J, et al. Pharmaceutical opioid poisonings in Victoria, Australia: Rates and characteristics of a decade of emergency department presentations among nine pharmaceutical opioids. Addiction 2022;117:623-636.
  12. Guo KK, Deng CQ, Lu GJ, Zhao GL. Comparison of analgesic effect of oxycodone and morphine on patients with moderate and advanced cancer pain: a meta-analysis. BMC Anesthesiol 2018;18:132.
  13. Schmidt-Hansen M, Bennett MI, Arnold S, Bromham N, Hilgart JS. Efficacy, tolerability and acceptability of oxycodone for cancer-related pain in adults: an updated Cochrane systematic review. BMJ Support Palliat Care 2018;8:117-118.
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