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#F002 Inefficacité clinique des anticorps anti-substance amyloïde dans la maladie d'Alzheimer

De quoi parle-t-on ?

Publication des résultats présentés comme positifs d'un essai clinique du lécanémab, un anticorps anti-substance amyloïde, dans la maladie d'Alzheimer (1) https://doi.org/10.1056/NEJMoa2212948

Pourquoi a-t-on choisi d’en parler ?

Ces dernières années, plusieurs essais relatifs à des anticorps monoclonaux anti-substance amyloïde ont été réalisés dont les résultats demeurent discutables en termes d’efficacité clinique. Sur le plan physiopathologique, la maladie d'Alzheimer consiste en une atteinte du tissu cérébral selon au moins deux mécanismes : la dégénérescence neurofibrillaire consécutive à l’effet délétère de la protéine Tau à l’intérieur des neurones et la constitution de plaques amyloïdes à l’extérieur des neurones par accumulation anormale de cette protéine (2). L’hypothèse de l’effet délétère de l’accumulation de cette protéine amyloïde a ainsi conduit au développement de nombreux anticorps anti-substance amyloïde par divers laboratoires avec l'espoir que ceux-ci puissent permettre d’améliorer l'état clinique des patients (3).

Parmi les nombreux anticorps testés ciblant la protéine amyloïde chez l’homme, seuls deux ont conduit à des résultats présentés comme positifs, résultats largement relayés par les médias :

  • L'aducanumab (Aduhelm, Biogen), avec lequel était observé une réduction des dépôts amyloïdes sans effet clinique significatif comme souligné par l'EMA (4)
  • Le lécanémab (Eisai) dont un essai vient juste d'être publié montrant certes une diminution des dépôts amyloïdes ainsi qu’un effet clinique sur les symptômes cognitifs, effet dont la taille demeure trop faible pour être considéré comme pertinent sur le plan clinique (1).

Par ailleurs, ces traitements semblent exposer les patients à un risque de lésions cérébrales œdémateuses et hémorragiques potentiellement fatales (5, 6).
Outre les résultats assez négatifs de ces essais, l'hypothèse d'un effet thérapeutique par action sur les plaques amyloïdes a fait l’objet d’une remise en question et de débats ces derniers mois (7).

L’avis de la SFPT

Pour la SFPT, la validation de l’usage d'un médicament doit être établi sur la base de résultats montrant un bénéfice clinique ayant un impact sur la vie des patients, tout en assurant une sécurité d'emploi suffisante au regard de ce bénéfice. Même dans des maladies graves, un résultat statistiquement significatif n'est pas suffisant s'il n'est pas associé à un progrès perceptible pour les patients -ce que l’on appelle la pertinence clinique -, surtout pour des populations vulnérables dont la qualité de vie résiduelle doit impérativement être protégée, qui plus est, avec des médicaments dont la sécurité d'emploi est certaine. Par conséquent, et en l'état actuel des résultats rapportés, la SFPT considère qu’en dépit d’une diminution des plaques amyloïdes, aucun des anticorps anti-substance amyloïde n’a pu démontrer à ce jour un effet cliniquement pertinent permettant de soutenir un rapport bénéfice/risque favorable de ces médicaments.

Pour approfondir :

La maladie d’Alzheimer a un impact dramatique tant au niveau individuel, avec l’altération des fonctions cognitives et une réduction de l'autonomie, qu'au niveau de la santé publique avec une prévalence élevée et croissante avec l'âge. Dans ce contexte, la recherche de traitements préventifs voire curatifs est importante et toute nouvelle hypothèse suscite une attention majeure. Concernant l’hypothèse de l’effet éventuellement bénéfique de la réduction des dépots amyloïdes cérébraux par l’action de différents anticorps anti-substance amyloïde, de nombreux anticorps ont été testés mais seuls deux permettent éventuellement de discuter de résultats positifs.

Quels sont les résultats positifs, notamment cliniques, obtenus à ce jour dans les essais de phase III de ces médicaments ?

Aducanumab :

Deux essais cliniques pivots de phase III, les études EMERGE et ENGAGE ont été réalisés. Ce sont deux essais comparatifs contre placebo, randomisés et en double aveugle, incluant au total plus de 3000 patients traités pendant 78 semaines. Ces deux essais ont été arrêtés prématurément suite à une analyse intermédiaire prévue à l'avance dont les résultats ont révélé inutile leur poursuite (analyse dite de futilité qui établit l'absence d'intérêt de poursuite d'essai). Cependant, des résultats positifs étaient relevés dans l'étude EMERGE avec la dose la plus élevée d'aducanumab alors même que l'étude ENGAGE était négative.

L'essai EMERGE a ainsi révélé un effet statistiquement significatif de l'aducanumab sur le critère d'évaluation principal CDR-SB, à savoir un déclin de l'état cognitif moindre dans le groupe des patients traités avec une différence mesurée de 0,39 points, une valeur cependant insuffisante pour atteindre une pertinence clinique, c'est à dire un effet perceptible dans la vie des patients. La même conclusion est applicable à l'évolution du MMSE (critère secondaire de l’étude) avec une différence mesurée de 0,6 points (l'échelle MMSE a une valeur maximale de 30 points chez un patient sans troubles cognitifs).

L'aducanumab a fait l'objet d'une demande d'autorisation de mise sur les marchés Américain et Européen. Malgré un avis défavorable de son comité d'experts (8), la FDA (Food and Drug Administration) a délivré une autorisation de mise sur le marché alors que l'EMA (Agence Européenne des Médicaments) a refusé une telle autorisation. En effet, en dépit du constat d’une réduction des dépôts amyloïdes sous traitement, l'EMA a considéré qu’il n’y avait pas d'effet clinique pertinent chez les patients traités (4).

Lécanémab :

L'étude de phase III du lécanémab a été menée sur une population semblable et avec une méthodologie similaire. La durée de traitement des 1795 patients inclus a été de 18 mois. Les injections intraveineuses ont été effectuées toutes les deux semaines et le critère de mesure principal de l'effet a là aussi été basé sur les valeurs de CDR-SB. A leur inclusion, les patients présentaient en moyenne une valeur de CDR-SB de 3,2. Après 18 mois, ce score s'est dégradé dans les deux groupes, de 1,21 point dans le groupe traité par lécanémab contre 1,66 point dans le groupe placebo, soit une différence de 0,45 points statistiquement significative (c'est à dire que la probabilité d’observer un résultat de cette amplitude sous l’hypothèse d’une inefficacité totale du traitement est inférieure à 5%). Pour autant, cette différence reste insuffisante pour représenter un bénéfice perceptible dans la vie des patients : elle n’est pas cliniquement pertinente. En effet, le score CDR-SB qui mesure le niveau de troubles cognitifs et son impact dans la vie des patients a des valeurs extrêmes de 0 (absence de trouble) à 18 (troubles sévères) et il est admis qu'un avantage clinique significatif correspond à une différence de score CDR-SB d'une valeur d'au moins 1 point (9, 10). Enfin, ce résultat est à mettre en perspective avec les données de sécurité. L’observation en imagerie cérébrale (IRM) de lésions œdémateuses et micro-hémorragiques est plus fréquente chez les patients traités par lécanumab alors que 2 hémorragies cérébrales d'évolution fatale sont possiblement liées à l'administration de lécanémab (6). Dans ces conditions, la balance bénéfice/risque de ce médicament n’apparait pas favorable.

Références

  1. Van Dyck CH, Swanson CJ, Aisen P, Bateman RJ, Chen C, Gee M, Kanekiyo M, Li D, Reyderman L, Cohen S, Froelich J, Katayama S, Sabbagh M, Vellas B, Watson D, Dhadda S, Irizarry M, Kramer LD, Iwatsubo T. Lecanemab in Early Alzheimer’s Disease. N Eng J Med. 2022 Nov 29. DOI: https://doi.org/10.1056/NEJMoa2212948
  2. Querfurth HW, LaFerla FM. Alzheimer’s Disease. N Eng J Med 2010; 362; 4: 329-344 https://doi.org/10.1056/nejmra0909142
  3. Qian X, Hamad B, Dias-Lalcaca G. The Alzheimer disease market. Nat Rev Drug Discov 2015; 14: 675-676
  4. Aduhelm: Withdrawal of the marketing authorisation application. https://www.ema.europa.eu/en/medicines/human/withdrawn-applications/aduhelm
  5. Aduhelm US labelling, 2021. https://www.accessdata.fda.gov/drugsatfda_docs/label/2021/761178s000lbl.pdf
  6. Second death linked to potential antibody treatment for Alzheimer’s disease. 2022 Nov 29. https://www.science.org/content/article/second-death-linked-potential-antibody-treatment-alzheimer-s-disease
  7. Piller C. Blots on a field ? Science 2022; 377: 358-363
  8. Alexander GC, Karlawish J. The Problem of Aducanumab for the Treatment of Alzheimer Disease. Ann Intern Med 2021; 174: 1303-1304
  9. Andrews JC, Desai U, Kirson NY, Zichlin ML, Ball DE, Matthews BR. Disease severity and minimal clinically important differences in clinical outcome assessments for Alzheimer’s disease clinical trials. Alzheimer’s & Dementia: Translational Research & Clinical Interventions 2019; 5: 354-363
  10. Lansdall CJ, Butler LM, Kerchner G, McDougall F, Delmar P, Pross N, et al. Anchor- and distribution-based methods to establish clinically meaning- ful score changes on the Clinical Dementia Rating scale – Sum of Boxes in patients with prodromal Alzheimer’s disease. J Prev Alzheimers Dis 2019; 6: S11–2

Neurologie, psychiatrie

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