2.3.2 Fragilité des explications a posteriori

     

Souvent la possibilité d’expliquer a posteriori un résultat exploratoire (donc de découverte fortuite) est utilisée comme validation de ce résultat. Il est alors argüé que cela revient au même qu’un raisonnement déductif : les mécanismes ne sont simplement pas invoqués a priori pour construire une hypothèse, mais a posteriori pour l’expliquer. Il existe cependant une différence majeure. Dans la démarche hypothético-déductive l’hypothèse issue des connaissances et des mécanismes est unique et choisie parmi de nombreuses hypothèses physiopathologiques et pharmacologiques, mais surtout indépendamment des futurs résultats qui seront obtenus. Dans la démarche inductive, en revanche, il est possible de trouver a posteriori une infinité d’explications compte-tenu de la complexité des mécanismes physiopathologiques et pharmacologiques. De plus les explications a posteriori sont soigneusement sélectionnées parmi tout ce qu’il est possible de développer comme théorie pour justifier le résultat obtenu. Dans le raisonnement déductif, une seule hypothèse est choisie parmi toutes celles qui pourraient être faites en fonction de cette complexité d’une manière complètement indépendante des futurs résultats qui seront obtenus d’où l’intérêt de la validation prospective des hypothèses.

Les associations a posteriori des rapports anecdotiques (études de cas) relèvent également d’une démarche inductive ce qui explique leur très faible niveau de preuve. Tout au plus ces approches peuvent conduire à générer de nouvelles hypothèses qui seront alors à vérifier selon une démarche hypothético-déductive ad hoc ultérieure.

Exemple de la fragilité des explications basées sur les mécanismes

L’essai CAST [56] des anti-arythmiques de classe 1c en post infarctus dans le but de prévenir la mort subite a montré que ces médicaments induisaient en réalité une surmortalité 3 fois plus élevée. L’hypothèse initiale de l’étude était basée sur des mécanismes physiopathologiques et pharmacologiques concernant l’électrophysiologie qui permettait de spéculer sur l’obtention d’un bénéfice clinique en termes de prévention des morts rythmiques. Aussitôt après la publication des résultats de CAST, ces mêmes données physiopathologiques et pharmacologiques ont alors été interprétées différemment pour expliquer qu’il était logique que ces produits induisent une surmortalité [57] .


Comme nous l’avons vu précédemment (cf. section 2.1), le raisonnement mécaniciste est indispensable au stade précoce de la recherche de nouveaux médicaments mais ne permet pas de recommander ou d’utiliser un traitement. Il permet une approche raisonnée de la sélection des candidats à développer. Certes son efficience, lorsqu’elle a été évaluée, semble modérée (50% des phases 3 sont des échecs [25] ) mais il est le garant d’une démarche rationnelle dans la recherche thérapeutique. De plus ces raisonnements, malgré leurs limites, permettent de donner un rationnel aux essais, rendant ainsi acceptables leur coût financier et la prise de risque par les patients. Toutefois l’exemple ci-dessus montre à quel point ils peuvent êtres dévoyés, de par la flexibilité des raisonnements basés sur les mécanismes à s’adapter pour conclure à ce qui est recherché et à se modifier ensuite pour expliquer, a posteriori, n’importe quel résultat observé, même si ces résultats contredisent l’explication initiale.