7 Évaluation du risque de biais

     

Un essai de supériorité est biaisé quand il existe un autre facteur que le traitement étudié qui induit une différence en faveur du nouveau traitement au niveau du ou des critères de jugement.

Par exemple dans un essai évaluant un antiagrégant plaquettaire versus placebo pour prévenir les AVC dans la FA, si tous les patients du groupe aspirine reçoivent en plus des AVK et aucun dans le groupe placebo, il est évident que l’on aura moins d’AVC dans le groupe traité que l’aspirine prévienne ou pas en réalité l’AVC.

Un biais est donc une cause de résultat faux positif note n° 11 .

Sauf cas exceptionnel, il est impossible de déterminer si un résultat est effectivement biaisé ou non (étant donné que l’on ne connait pas le réel effet du traitement). Il n’est donc pas possible de diagnostiquer a posteriori si un résultat est biaisé ou pas.

De plus, il s’agirait d’une argumentation a posteriori, basée entièrement sur un raisonnement exploratoire (inductif) consistant à une recherche tous azimuts de « signes de biais » et qui finalement serait très subjective et influencée par l’opinion du lecteur (risque de procès à charge ou de cécité élective vis-à-vis des problèmes).

Cependant, il a été possible d’identifier toutes les causes de biais qui peuvent survenir dans un essai (cf. Tableau 1) et d’inventer des principes méthodologiques qui empêchent leur survenu (randomisation imprévisible, double insu, analyse en intention de traité avec remplacement des données manquantes).

En appliquant ces principes méthodologiques, il est possible de mettre un essai à l’abri des biais (de le protéger contre les biais).

Ainsi, si ces principes méthodologiques de protection contre les biais ont été correctement mis en œuvre, les résultats « positifs » obtenus ne peuvent pas provenir de biais (mais encore d’erreur aléatoire). Il sera donc possible de les considérer comme réels et de conclure à l’intérêt du traitement (après analyse de la robustesse statistique, cf. section 5).

Au niveau des biais, la lecture critique consiste donc à vérifier si l’étude est complètement à l’abri des biais (correctement conçue et réalisée).

  • Si c’est le cas, un résultat positif ne pourra pas être un faux positif dû à un biais et pourra être accepté comme tel.
  • Si l’étude n’est pas complètement à l’abri des biais (mise en œuvre partielle des principes méthodologiques ou perversion de ces principes lors de la réalisation), l’étude est à risque de biais . Les résultats « positifs » produits par une telle étude peuvent être potentiellement dus en totalité aux biais et donc être faussement positifs. Il n’est donc pas possible de considérer ces résultats pour baser un changement de pratique (car il y a un risque de recommander ce changement de pratique à tort).

La validité interne est remise en cause, non pas parce que l’on a la preuve évidente d’un biais, mais parce que l’essai est à risque de biais, car insuffisamment protégé contre les biais.

Il est donc abusif de dire qu’un essai est biaisé, car la seule conclusion objective qui puisse être faite est que l’essai est protégé contre les biais ou non

Tableau 1 – Présentation des 4 biais pouvant affecter un essai thérapeutique de supériorité, classés en fonction du principe méthodologique correspondant

Biais

Mécanisme du biais prévenu

Nom du biais note n° 12

Biais prévenu par la randomisation imprévisible

biais survenant quand le groupe traité est favorisé par la sélection de patients moins graves que ceux inclus dans le groupe contrôle

Biais de sélection (ATTENTION ne correspond pas en totalité au biais de sélection des études épidémiologiques)

Biais prévenu par le double insu au niveau de la mesure du critère de jugement

biais survenant quand l a mesure du critère de jugement favorise le groupe traité

Biais de mesure

Biais prévenu par le double insu au niveau de la réalisation et du suivi de l’essai

biais survenant quand l a prise en charge des patients favorise le groupe traité

Biais de suivi (réalisation )

Biais prévenu par l’analyse en intention de traiter avec remplacement des données manquantes

biais survenant quand l e groupe traité est favorisé par la « sortie de l’analyse » de certains patients

Biais d’attrition

Pour qu’il y ait biais conduisant à un résultat faussement positif dans l’essai de supériorité, il faut donc qu’un facteur conditionnant le critère de jugement soit asymétrique entre les 2 groupes et favorise le groupe traité. Ainsi les facteurs qui n’influencent pas le critère de jugement ne peuvent pas induire de biais ainsi que les facteurs dont la répartition est symétrique note n° 13 (y compris en moyenne) entre les 2 groupes.

Dans le discours courant, le terme biais est souvent utilisé de manière inappropriée pour désigner tout problème perçu avec un essai. En fait les biais ne représentent qu’un type, parfaitement bien défini, des réserves que l’on peut émettre vis-à-vis d’une étude. Il est par exemple totalement inapproprié de parler de biais statistiques pour désigner un problème lié au risque alpha.

Par exemple, le terme biais de sélection est souvent utilisé à tort pour parler d’un défaut de représentativité des patients inclus, par exemple, si un essai qui voulait inclure des patients âgés se retrouve avec très peu de ces patients. Il ne s’agit pas d’un biais étant donné que le problème survient en amont de l’inclusion, mais bien d’un problème de pertinence clinique. C’est un problème de validité externe et non pas de validité interne. Un biais est un facteur qui fait que le résultat que l’on obtient dans l’étude est différent de celui qu’il aurait dû être compte tenu des patients inclus. Le fait que l’étude ne permet pas de répondre à la question posée en termes de représentativité, de contexte de réalisation, de définition de la maladie est un problème de validité externe et fait que le résultat (pourtant intrinsèquement correct) ne peut pas servir à guider la pratique, car il ne reflète pas forcément le réel bénéfice qu’apporterait éventuellement ce traitement chez les patients à traiter dans la vraie vie (qui ne correspondront pas à ceux qui ont été effectivement étudiés dans l’étude).


[11] Au sens large, un biais peut aller dans les deux sens. Mais dans l’essai thérapeutique de supériorité, on se préoccupe uniquement des biais qui pourraient faire conclure à tort à l’intérêt du traitement. Les biais qui conduisent à faire que l’essai ne peut pas conclure à l’effet du traitement n’ont pas pour conséquences de faire adopter un traitement sans intérêt. Cette problématique concerne surtout le chercheur ou l’industriel qui développe le traitement et non pas le clinicien qui se posent la question de la fiabilité du résultat sur lequel il s’apprête d’adopter le nouveau traitement. La lecture critique des essais « négatifs » est particulière et complètement différente de celle des essais « positifs » que nous développons ici (cf. section 11)

[12] Les noms de biais sont très variables d’un auteur à l’autre avec de nombreux synonymes parfois ambigus entre le monde de l’essai clinique et celui de l’épidémiologie. Pour l’essai thérapeutique, il n’est pas très important de mémoriser le nom de biais. L’important est de comprendre les mécanismes des biais et en quoi les principes méthodologiques les évitent.

[13] Cela ne s’applique pas à l’essai de non-infériorité où les biais problématiques sont ceux qui diminuent la différence entre les 2 traitements et font apparaitre un traitement non inférieur au standard un traitement en réalité très inférieur.