4.7 Schéma décisionnel à partir des essais méthodologiquement solides

     

La finalité des essais thérapeutiques (pivots, de « phase 3 ») est d’apporter la preuve (« evidence » ) de l’intérêt clinique (« effectiveness , utility » ) du nouveau traitement au-delà de tout doute raisonnable.

  • Si c’est le cas, le nouveau traitement pourra être introduit dans la stratégie thérapeutique de la pathologie.
  • L’essai Aristotle [183] a comparé l’apixaban à la warfarine dans la FA. L’essai était randomisé, en double aveugle, avec 35 et 34 patients perdus de vue pour une différence sur le critère de jugement principal de 53 évènements. Une hiérarchisation avait été utilisée pour contrôler le risque alpha global sur 3 critères de jugement en supériorité : les AVC et embolies systémiques, les saignements majeurs et les décès de toutes causes. Un résultat statistiquement significatif a été obtenu sur ces 3 critères.

    La conclusion est « In patients with atrial fibrillation, apixaban was superior to warfarin in preventing stroke or systemic embolism, caused less bleeding, and resulted in lower mortality”.

    Ces résultats ont permis d’introduire l’apixaban dans la stratégie thérapeutique de la FA.


  • Si ce n’est pas le cas, le traitement n’a pas (encore) fait ses preuves pour une utilisation en pratique et ne peut qu’être utilisé que dans le cadre d’autres essais thérapeutiques. Éventuellement, si un bénéfice cliniquement pertinent est démontré, le traitement peut représenter une alternative dans la stratégie thérapeutique.
  • « Les données actuelles sur l’utilisation de l’ivermectine pour traiter les patients atteints de COVID-19 ne sont pas probantes. En attendant que davantage de données soient disponibles, l’OMS recommande de n’administrer ce médicament que dans le cadre d’essais cliniques. » https://www.who.int/fr/news-room/feature-stories/detail/who-advises-that-ivermectin-only-be-used-to-treat-covid-19-within-clinical-trials


    Initialement, le but des essais de phase 2 est de préparer la réalisation de ces essais de phase 3 (recherche de la dose, exploration des effets, etc.). Dans ces essais la méthodologie peut être moins rigoureuse car le risque est de réaliser une phase 3 à tort et non pas de recommander à tort l’utilisation d’un nouveau traitement. On rencontre ainsi des seuils de signification statistique à 20% et le groupe contrôle, ou la randomisation, sont fréquemment absents. Ainsi, par abus de langage, phase 2 est presque devenue synonyme d’essai non comparatif.

    L’ambiguïté terminologique survient du fait que, parfois, certains plans de développement prévoient d’utiliser des essais non comparatifs comme preuve définitive de l’intérêt du traitement. Aucun essai contrôlé randomisé n’est alors prévu. Dans ce type de plan, la phase 3 est ainsi une étude non contrôlée mais elle est presque toujours dénommée phase 2 eu égard à sa méthodologie qui jusqu’à présent ne se rencontrait que dans les phases préliminaires de phase 2 note n° 37 (cf. dossier compagnon n° 14). On note cependant une tendance récente à la correction de cette dérive avec des développements qui présentent clairement une étude mono-bras comme phase 3 (cf. par exemple NCT03312634 ). Ainsi le numéro de phase correspond à la fonction et non pas à la méthodologie. Il existe par exemple des études de phase 2/3 qui répondent par la même étude (même méthodologie) aux deux besoins (cf. dossier compagnon n°14). Parallèlement à cela on assiste aussi avec l’enregistrement accéléré et l’accès précoce à l’utilisation de vraies phases 2 (une phase 3 est prévue dans le plan de développement) comme justification de l’intérêt clinique du traitement.

    L’intérêt clinique du traitement est démontré quand le résultat est fiable, statistiquement significatif en termes de contrôle du risque alpha global note n° 38 et cliniquement pertinent (avec entre autres une balance bénéfice risque favorable). La simple mise en évidence d’un « effet » du traitement n’est pas suffisante si cet effet est mesuré sur un critère de jugement non cliniquement pertinent par exemple ou par rapport à un traitement contrôle non optimal. L’intérêt clinique du traitement n’est pas non plus démontré, même en cas de mise en évidence d’un bénéfice cliniquement pertinent, si la balance bénéfice risque est défavorable (effet indésirable contrebalançant en totalité le bénéfice obtenu).

    Le bamlanivimab est un anticorps monoclonal neutralisant du SARS-Cov-2. Il a été développé comme traitement ambulatoire précoce des cas de Covid ne nécessitant pas d’oxygénothérapie. Une publication relate les résultats préliminaires obtenus dans un essai de phase 2 BLAZE 1 partie 1 [184] (10.1056/NEJMoa2029849 ). Bien qu’utilisé par certains pour inciter à l’utilisation rapide de ce produit, ces résultats présentent de nombreuses limites méthodologiques : critère de jugement principal de réduction de la charge virale non statistiquement significatif ; réduction de la fréquence des hospitalisations non statistiquement significative ; le seul résultat statistiquement significatif provenait d’une analyse en sous-groupe post hoc . Ils ne démontrent donc pas l’intérêt clinique du bamlanivimab dans cette indication.

    De ce fait la société de pathologie infectieuse de langue française a conclu dans ses recommandations : « Le groupe recommandations de la SPILF considère que l'utilisation du bamlanivimab ne doit pas être recommandée en monothérapie, en raison de l'absence d'intérêt clinique démontré dans les essais. Seule une utilisation dans des essais cliniques est pour l'instant concevable. » (https://www.infectiologie.com/fr/actualites/place-du-bamlanivimab_-n.html )


    Attention : un résultat insuffisamment cliniquement pertinent, mais parfaitement bien démontré peut conduire à une AMM. Le but de l’AMM est de statuer si le médicament est actif avec une balance bénéfice risque acceptable et non pas de juger si le traitement a sa place dans la stratégie thérapeutique. Cette dernière évaluation est, en France, du ressort de la commission de transparence et des recommandations de pratique.


    [37] Le risque d’un résultat faux positif en phase 2 est de conduire à la réalisation à tort d’une phase 3 qui s’avérera négative par la suite et non pas de recommander à tort le nouveau traitement. Il s’agit d’un risque couru par le développeur (l’industriel) et non pas par le patient. Cependant, on assiste depuis quelques années à un renforcement de la méthodologie des phases 2 pour limiter le risque financier de réaliser pour rien une phase 3 mais aussi pour éviter d’accaparer pour rien des patients (devenu rare compte tenu du nombre d’essai en cours dans chaque pathologie) et d’handicaper le recrutement d’autres essais.

    [38] Et pas seulement nominalement significatif