3.4.2 Les prépublications (preprints )

     

L’avènement des preprints , c’est-à-dire de publications sans « reviewing » note n° 28 , représente une évolution intéressante de l’écosystème de la publication scientifique. Un des avantages majeurs pour l’évaluation des médicaments est l’accélération de la diffusion des résultats, qui permet, lorsqu’il s’agit de réelles innovations thérapeutiques, de ne pas retarder leur mise à disposition pour les patients. Le recours au « preprints » a explosé pendant la pandémie de Covid-19, dans un contexte d’urgence et de recherche d’information rapide sur de potentiels traitements.

Cependant l’apparition des « preprints » a amplifié l’infodémie et offre une audience potentielle aux études ineptes ou complètement irrecevables méthodologiquement. Pour les publications classiques, le « peer reviewing » a certes des limites (sans parler de détournement du « peer reviewing » , le « fake peer reviewing » [138] ) et laisse passer des publications ou des études problématiques (tel que l’objectivent les spins de conclusion, les rétractations post publication [139] et les études méta-épidémiologiques montrant les limites des études publiées [15 , 140] ), mais il effectue néanmoins un certain filtre et évite que de telles études soient trop facilement publiées.

Ces barrières n’existant plus avec les « preprints », il faut donc s’attendre à voir surgir des revendications d’efficacité et de place dans la stratégie thérapeutique à partir de publications de cet acabit. La « Publication », qui n’a jamais été d’ailleurs un garant absolu de la validité de l’étude et des résultats présentés [141] , ne donne avec ces « preprints » plus aucune garantie de sérieux note n° 29 . Il sera donc du ressort du lecteur de juger par lui-même de la fiabilité et de la pertinence des résultats de l’étude rapportée.

Une solution à ce problème serait de systématiquement rejeter les « preprints », par principe. Mais cela reviendrait aussi à rejeter d’emblée les apports positifs de cette nouvelle forme de dissémination des résultats de la recherche.

Le « preprint » de l’essai RECOVERY sur la dexaméthasone publié en plein crise COVID le 22 juin 2020 note n° 30 illustre parfaitement bien cet atout. Avec ce « preprint » , la dexaméthasone devenait le premier traitement à avoir démontré une réduction de la mortalité chez les formes sévères. Le « preprint » permettait d’appréhender parfaitement bien l’intérêt majeur de ces résultats. La publication « traditionnelle », avalisée par le « peer reviewing » , n’a été disponible que le 17 juillet 2020 sur NEJM.org en version préliminaire (et le 25 février 2021 ! en version paginée « papier » note n° 31 ) et n’apportait rien de plus pouvant faire changer la perception de l’intérêt de ce traitement. La rapidité de la dissémination de ces résultats était d’autant plus justifiée que la dexaméthasone étant disponible, elle permettait une instauration immédiate du traitement chez les patients en soins intensifs dès que la preuve de leur intérêt avait été acquise. En effet, une transparence totale avait été aménagée avec la publication in extenso du protocole et du plan d’analyse statistique. Tout était disponible pour évaluer correctement par soi-même le degré de certitude des résultats et le « peer reviewing » n’était pas nécessaire pour servir de tiers de confiance garantissant la solidité méthodologique de l’étude. Dès le communiqué de presse d’ailleurs, il était possible de se faire une idée correcte de l’intérêt clinique de la dexaméthasone.

Des voix se sont pourtant élevées, y compris en provenance de professionnels médicaux avancés, pour temporiser l’adoption du traitement en arguant qu’il n’y avait pas eu de « peer reviewing » ,. Cette anecdote reflète le manque d’expertise méthodologique de certains acteurs et les difficultés à décider par eux même directement à partir des résultats « bruts » que peuvent avoir des professionnels pourtant émérites dans leur domaine.


L’exploitation de cette potentialité des « preprints » nécessite cependant que les décideurs et prescripteurs puissent juger par eux même de la fiabilité et de la pertinence des résultats « bruts » tels que rapportés dans une publication informative (CONSORT).

Il est souvent objecté à des résultats uniquement publiés à l’instant t dans un « preprin »t , qu’ils sont issus d’un « preprint » !

« L'article cité dans ce post est encore au statut de « preprint », aussi faut-il considérer les résultats présentés ici au conditionnel dans l'attente d'une publication définitive »

Le fait d’être publié sous forme de « preprint » n’est pas une limitation méthodologique et ne peut pas être un motif de rejet. Lorsque l’étude sera publiée dans une revue traditionnelle, la méthode de l’étude n’aura pas changé, le résultat sera identique. Avoir été revue par un comité de relecture ne change en rien la valeur intrinsèque des résultats d’une étude note n° 32 , et il n’est d’ailleurs pas possible d’exclure, que dans certains cas, le reviewing puisse détériorer le papier (l’auteur souhaitant à tout prix être publié peut accepter de suivre des commentaires erronés de reviewers ne disposant pas de toute l’expertise nécessaire). Les « preprints » sont une publication anticipée du manuscrit soumis à la revue. Il contient donc, pour les bons papiers, toute l’information nécessaire pour juger de la robustesse des résultats et de leur intérêt pour la pratique. Il est donc tout à fait possible de juger une étude avec le « preprint » de la même façon qu’avec une publication d’une revue traditionnelle. À la rigueur on pourrait comprendre que des personnes se sentent mal à l’aise pour suivre une conclusion d’un « preprint » car il n’y a pas eu de reviewing et ils ne s’estiment pas en mesure de juger par eux même de la méthode. Mais ce n’est pas une limite du support, mais plutôt du lecteur. Une étude doit être jugée sur le fond et non pas sur la forme (revue ou pas revue par un comité de relecture), sans oublier que le processus de « peer reviewing » a aussi des limites (cf. ci-dessus).

Le fait que tout un chacun sera à l’avenir confronté à ce type de publications est un argument supplémentaire pour une meilleure diffusion de la culture du médicament à tous les professionnels de santé et au-delà (grand public, société civile, journalistes, décideurs politiques) ; une certaine expertise sur ces sujets étant déjà nécessaire dans le cadre de la diffusion habituelle des résultats de la recherche thérapeutique comme nous l’avons vu (spin, communication promotionnelle, etc.).

Durant la crise de la COVID, les observateurs ont noté que ce déficit généralisé en culture sur le médicament avait été un facteur important de la confusion et de la désinformation autour de l’efficacité des traitements et des vaccins. note n° 33


[28] Certaine plateforme propose un « folks reviewing » qui est un modèle de reprise en main par la communauté scientifique du processus d’édition assez séduisant

[29] Devant l’explosion de ce phénomène avec la COVID-19, les serveurs de « preprints » se sont sentis obligés de rajouter un warning, comme celui de medRxiv : « Caution: preprints are preliminary reports of work that have not been certified by peer review. They should not be relied on to guide clinical practice or health-related behavior and should not be reported in news media as established information. »

[30] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.06.22.20137273v1

[31] https://www.nejm.org/doi/10.1056/NEJMoa2021436

[32] Il est possible que le reviewing constate des défauts (comme le lecteur du preprints) et fasse procéder à des améliorations de méthode, mais dans ce cas le print devient une nouvelle publication (qui n’a pas fait l’objet d’un préprint).

[33] https://sfpt-fr.org/images/covid19/communique-pharmacovid-SFPT.pdf