2 Justification de la recherche de la non-infériorité

     

Un nouveau traitement ne peut être introduit dans la stratégie thérapeutique que lorsqu’il existe une preuve issue d’essais cliniques qu’il représente un progrès par rapport au traitement de référence (ou par rapport à l’absence de traitement).

En général, le progrès thérapeutique est représenté par une efficacité supérieure à celle du traitement de référence. La preuve est apportée par un essai visant à montrer la supériorité du nouveau traitement (essai de supériorité).

Cependant, dans certaines situations, une avancée thérapeutique peut, non pas être une efficacité supérieure, mais simplement une plus grande facilité d’utilisation, un traitement moins lourd pour les patients, une meilleure tolérance ou un plus faible cout. Ces avantages pourront être suffisamment intéressants pour justifier l’adoption du nouveau traitement même si son efficacité n’est pas supérieure à celle du traitement de référence, à condition qu’elle ne soit pas nettement inférieure. Même avec une efficacité légèrement moindre, ce traitement représente un progrès thérapeutique compte tenu de ces autres avantages.

La démonstration de l’intérêt du nouveau traitement sera apportée par un essai cherchant à mettre en évidence la non-infériorité de celui-ci par rapport au traitement de référence.

Par exemple, l’intérêt des héparines de bas poids moléculaires dans le traitement des thromboses veineuses profondes est une plus grande facilité d’utilisation. Il en est de même des changements de modalités d’administration d’un même produit à la recherche d’une plus grande faisabilité. Comme le remplacement d’une antibiothérapie intraveineuse par une antibiothérapie orale pour le traitement des endocardite infectieuse (étude POET [6] ). Cette approche a aussi été envisagée pour la fibrinolyse avec l’alteplase à la phase aiguë de l’infarctus (essai COBALT [7] ).


Dans les tumeurs primaires osseuses, une stratégie conduisant à une chirurgie conservatrice sera un progrès thérapeutique par rapport à une chirurgie d’amputation, même s’il y a une petite perte d’efficacité en termes de survie.

Exemple des HBPM dans le traitement des TVP

Jusqu’à récemment, le traitement standard des thromboses veineuses profondes consistait en l’hospitalisation et l’administration intraveineuse continue d’héparine non fractionnée (HNF) durant 5 à 10 jours, suivi par un traitement anticoagulant oral d’au moins 3 mois. L’utilisation de l’héparine non fractionnée nécessite un monitorage biologique pour l’ajustement des doses.

Les héparines de bas poids moléculaires (HBPM) présentent de nombreux avantages par rapport à l’héparine non fractionnée : leur demi-vie plus longue rend possible leur administration en 2, voire 1, prise par jour, l’adaptation de la dose par monitorage biologique n’est pas nécessaire (une adaptation au poids du patient est suffisante). Ces deux points rendent envisageable le traitement de ces patients à domicile.

L’ensemble de ces avantages fait que les HBPM représentent une alternative à l’HNF intéressante en pratique même sans surcroit d’efficacité [8] . En effet, il serait tout à fait justifié d’adopter les HBPM même si elles ne s’avèrent qu’équivalentes en efficacité par rapport au traitement standard. Dans cet exemple ; le progrès thérapeutique réside dans l’amélioration de la praticabilité du traitement, et du confort du patient.

L’évaluation des HBPM dans le traitement de cette maladie s’est donc basée sur des essais de non-infériorité [8] .


La désescalade thérapeutique, par exemple en cancérologie, avec un allègement des protocoles de chimiothérapie ou le recours à des traitements chirurgicaux moins délabrants représente aussi une situation où il est facilement justifiable de changer pour de nouveaux protocoles thérapeutiques d’efficacité seulement équivalente aux précédents, mais qui préservent mieux la qualité de vie des patients.

L’approche de non-infériorité ne donne des arguments permettant d’utiliser le nouveau traitement que si celui-ci présente une supériorité manifeste par rapport au traitement habituel sur d’autres points (praticabilité, tolérances, etc.). En leur absence, la perte d’efficacité consentie empêche de conclure que le nouveau traitement représente un progrès thérapeutique par rapport au précédent. Cette remarque est importante, car la tentation est grande d’évaluer en équivalence un nouveau traitement non innovant et de vanter ensuite son « efficacité équivalence » pour le faire utiliser en remplacement du précédent. Cette attitude est dangereuse, car il n’est pas possible d’exclure qu’elle conduise à remplacer un traitement par un autre, en réalité moins efficace, sans que cette substitution n’apporte un quelconque avantage.

Ces situations peuvent se généraliser de la façon suivante : le bénéfice d’un traitement est une notion multifactorielle dans laquelle intervient à la fois l’efficacité vis-à-vis des critères de jugement clinique, mais aussi la tolérance, la faisabilité, la lourdeur du traitement et le cout. La démonstration de « l’équivalence clinique » d’un nouveau traitement par rapport au traitement de référence est suffisante pour l’adoption de celui-ci chaque fois où le gain obtenu sur les autres dimensions du bénéfice représente un intérêt suffisant pour admettre une efficacité équivalente (c’est-à-dire potentiellement légèrement inférieure). Le Tableau 1 présente quelques situations de ce type.

Cependant cette prise de décision va s’appuyer sur des choix arbitraires qui consistent à décider si les avantages sont « suffisants ». En d’autres termes, quelle diminution de cout, quelle réduction de fréquence des effets indésirables représente un avantage suffisamment important pour justifier un changement. Toute la difficulté consiste à déterminer la quantité de perte d’efficacité que l’on peut consentir en regard des avantages apportés. Ce choix est le plus souvent arbitraire, dépendant du point de vue et du référentiel choisi. Il constitue la principale difficulté de la prise de décision en équivalence.

Dans certaines situations, l’essai peut servir à montrer l’avantage du nouveau traitement en même temps que sa non-infériorité. Par exemple, une fréquence d’effets indésirables moindre et une efficacité suffisante (non-inférieure). L’essai ne sera concluant que lorsque ces deux hypothèses seront vérifiées simultanément. S’ajoutera alors une problématique supplémentaire, celle des comparaisons multiples, le critère de jugement principal n’étant plus unique. Une analyse adéquate de ce type d’essai nécessitera la prise en compte de la multiplicité des critères de jugement avec par exemple une analyse hiérarchique des critères de jugement ou l’utilisation de co-critères de jugement.

Tableau 1 – Exemple d’avantages pouvant justifier une recherche de l’équivalence.

Avantage en termes de tolérance

• Fréquence des effets secondaires moindre

• Effets secondaires moins graves

Facilité d’utilisation plus grande

• Voie d’administration plus simple (par exemple orale par rapport à intraveineuse, bolus à la place d’une perfusion)

• Une administration par jour à la place de plusieurs ou dose unique à la place d’un traitement de plusieurs jours

• Absence d’ajustement de dose

Moins d’inconvénients

• Traitement médical à la place d’un traitement chirurgical

• Chirurgie moins délabrante

• Radiothérapie moins prolongée

Coût plus faible