2 La quantité d’effet, une notion plurielle

     

Imaginons l’essai thérapeutique d’un nouvel antihypertenseur dont l’objectif est d’estimer l’effet à 1 an du traitement sur la pression artérielle systolique (PAS) par rapport au placebo. L’effectif est de 200 patients répartis entre les 2 groupes. La différence entre les 2 groupes de la moyenne des PAS mesurées à 1 an est de -12 mmHg en faveur du nouveau traitement dans l’analyse en intention de traiter. Comme 10% des patients dans les deux groupes sont perdus de vue, un remplacement des données manquantes conservateur (BOCF) a été effectué dans cette analyse en ITT, pour protéger le résultat contre le biais d’attrition. L’effet obtenu par cette analyse (-12) n’est donc pas une mesure directe de l‘effet de l’antihypertenseur, mais une mesure « transformée » pour des nécessités de contrôle de biais, et inférieure, par construction, à son réel effet. Sans ces perdus de vue, l’effet obtenu aurait été un supérieur, peut-être -14 mm Hg. Déjà apparaissent deux quantités d’effet : la vraie quantité apportée par le traitement (telle qu’elle serait mesurée dans un essai idéal sans aucun perdu de vue ou autres évènements intercurrents, cf. infra) et celle apportée par une analyse en ITT. L’analyse per protocol définit une autre quantité d’effet (un autre estimand donc).

Malencontreusement, du fait d’une erreur de conditionnement, 40 patients du groupe expérimental ont reçu en fait du placebo ! La quantité d’effet mesurée en ITT, analysée en fonction du traitement alloué et non pas du traitement reçu, est de ce fait très inférieure au vrai effet du traitement.

Cette erreur de conditionnement a toutes les chances d’être entièrement aléatoire. Comme il n’y a aucune raison qu’elle survienne en fonction de la PAS des patients concernés, par exemple préférentiellement chez les patients ayant des valeurs très élevées, la non-prise en compte de ces sujets n’est pas susceptible d’entrainer un biais (au sens qualitatif, faisant conclure à tort à l’effet non nul du traitement). En revanche leur maintien dans l’analyse entraine la mesure d’une quantité qui est l’effet du traitement dans un essai dont 40% des patients sous traitement ont reçu un placebo ! Cette estimand n’a pas de sens médical, car cette erreur n’a aucune chance de se reproduire dans le futur, en pratique médicale. Il n’est donc peut-être pas nécessaire d’intégrer, dans la mesure de l’apport du produit, les conséquences d’évènements intercurrents qui ne se reproduiront jamais. Cette situation s’oppose, par exemple, à celle des effets indésirables qui entrainent l’arrêt du traitement. Le maintien de ces patients dans l’analyse en ITT conduit lui aussi à une minoration de la quantité d’effet mesurée, mais ces sujets doivent impérativement être pris en considération, car il s’agit d’une conséquence directe du traitement (une de ses propriétés). Ces effets indésirables se reproduiront en pratique chez les patients traités et il est donc indispensable d’intégrer leur conséquence dans l’appréciation de l’effet du produit, car elles sont susceptibles de réduire cet intérêt.

Au passage, notons qu’il serait très fréquent de dire que, dans cet exemple des erreurs de conditionnement, le résultat ITT est biaisé, car différent quantitativement de celui attendu dans un essai sans cette erreur de conditionnement. En fait ce n’est pas un biais, car le résultat est conforme à ce qu’il devrait être dans cette situation et avec l’estimand en ITT pure (l’essai est considéré comme étant parfaitement à l’abri des biais et mesurant sans erreur autre qu’aléatoire, ce qu’il doit mesurer). Cet exemple montre bien l’intérêt de conceptualiser la notion d’estimand. Un résultat peut ne pas être approprié à la décision, car il est faux en raison d’un biais, mais aussi parce qu’il n’appréhende pas correctement la quantité d’effet nécessaire à cette prise de décision (comme dans une analyse excluant les arrêts de traitement pour effet indésirable).

L’estimand peut être vu comme une étape conceptuelle entre l’objectif de l’essai et le design de l’étude afin que celui-ci, comme l’analyse statistique, réponde au mieux à la question de l’étude [2] .

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Figure 1 – Place de l’estimand dans le processus de réalisation d’un essai