#F010 MAJ Mésusage d’un anti-histaminique H1, cyproheptadine (periactine®) pour la prise de poids
Mise à jour du 15/07/2024 : la SFPT se félicite de l'inscription de Periactine sur la liste des médicaments à prescription obligatoire
De quoi parle-t-on ?
Du mésusage de la cyproheptadine en tant qu’orexigène dans un but de prise de poids à des fins esthétiques.
Pourquoi a-t-on choisi d'en parler ?
L’histoire de la pharmacovigilance montre que les médicaments agissant sur le poids (anorexigènes ou orexigènes) ont été systématiquement associés à des problèmes liés à leur profil de risque (fenfluramine ponderal®, dexfenfluramine isomeride®, benfluorex mediator®, rimonabant acomplia®, plus récemment semaglutide ozempic® voir le pharmacofact précédent #F001 Mésusage des agonistes des récepteurs au GLP-1 en tant que produit amaigrissant.
Le mésusage de la cyproheptadine comme orexigène est ancien, il est néanmoins réapparu ces dernières années d'abord dans plusieurs pays du continent africain avant d'arriver en France. Cette pratique est actuellement relayée sur les réseaux sociaux avec des vidéos faisant la promotion de ce médicament à des fins esthétiques pour ressembler à certains mannequins ou influenceurs.
La cyproheptadine est un antihistaminique H1 indiqué dans le traitement symptomatique des allergies, ici détourné de son usage pour ses effets secondaires orexigènes à des fins de prise de poids. L'usage détourné dans le but d'une prise de poids de cet antihistaminique ancien expose à de nombreux effets indésirables du fait de ses propriété sédatives, atropiniques, adrénolytiques et antisérotoninergiques, effets le plus souvent méconnus par les patients utilisateurs. L'ANSM en 2022 a alerté dans une information de sécurité sur l'utilisation comme orexigène à des fins esthétiques de la cyproheptadine. Des cas de mésusage de la cyproheptadine perdurent néanmoins et ont été signalés aux Centres Régionaux de Pharmacovigilance (CRPV) en 2023.
(MAJ 07/2024) Suite à ces signalements, la dispensation des médicaments à base de cyproheptadine en pharmacie n'est plus possible que sur prescription médicale à compter du 10 juillet 2024.
L'avis de la SFPT
La cyproheptadine, qui n’a plus de place dans la stratégie thérapeutique comme antihistaminique et voit son utilisation détournée, expose à de nombreux effets indésirables (neurologiques, psychiatriques, cardiaques, hématologiques ou digestifs). La SFPT considère que le rapport bénéfices risques de la cyproheptadine devrait être réévalué en vue du retrait de son autorisation de mise sur le marché ou au minimum de son inscription sur une liste à prescription obligatoire.
Pour approfondir :
La cyproheptadine est un antihistaminique qui était jusqu'en 2024 non soumis à prescription médicale obligatoire, mis sur le marché en 1974, et indiqué dans le traitement symptomatique des manifestations allergiques .
Pourquoi la cyproheptadine a un effet orexigène ?
La cyproheptadine est un antagoniste aux récepteurs H1, 5-HT2A et 5-HT2C principalement. A l'inverse des médicaments anorexigènes retirés du marché comme le Benfluorex (mediator®), la dexfenfluramine (isomeride®) et la fenfluramine (ponderal®) qui ont des propriétés agonistes 5-HT2C, la cyproheptadine possède des effets orexigènes en lien avec l'antagonisme du récepteur 5-HT2C. La prise pondérale avec les neuroleptiques antipsychotiques de deuxième génération est aussi médiée par ce mécanisme d'action. Le récepteur 5-HT2C dans l'hypothalamus induit un rétrocontrôle négatif sur le récepteur de la ghréline GHSR1 (Growth hormone secretagogue receptor 1). Par conséquent, l'antagonisme du récepteur 5-HT2C induit une régulation positive sur la voie de signalisation orexigène médié par la ghréline par levée du rétrocontrôle négatif. De par ces propriétés pharmacologiques, la cyproheptadine est un médicament aux propriétés orexigènes qui induisent une prise de poids recherchée dans les cas de mésusage.
Comment s'est développé son mésusage ?
L’usage à des fin orexigènes de la cyproheptadine a été autorisé dès sa commercialisation en France dans les années 70 mais cette indication est retirée en 1994. L’utilisation hors indication s’est poursuivie et ces dernières années le mésusage est réapparu majoritairement dans certains pays du continent africain avant d'arriver en France. La cyproheptadine est détournée de son usage à des fins esthétiques pour ressembler à certains modèles de beauté largement diffusés dans des publicités et des vidéos sur les réseaux sociaux.
Dans une étude observationnelle sur la population de Kinshasa (République Démocratique du Congo), les auteurs retrouvaient un taux de mésusage de la cyproheptadine en tant qu’orexigène de plus de 70%. Il s'agissait majoritairement d'une population de jeunes femmes qui l'utilisait sur de longues périodes (supérieures à 1 an).
Cette pratique est aujourd’hui largement relayée sur les réseaux sociaux avec des vidéos de transformations physiques impressionnantes promouvant l'usage de la cyproheptadine, avec plusieurs dizaines voire centaines de milliers de vues. Toujours via les réseaux sociaux, une pharmacienne fait la promotion de la cyproheptadine dans son usage détourné sans évoquer les risques liés à la prise de ce médicament ce qui peut instaurer un sentiment de confiance dans cette utilisation détournée chez les patients consommateurs. Certains comptes sur les réseaux sociaux proposent par ailleurs la revente directe de cyproheptadine en comprimé ou en sirop dans un but esthétique. La dispensation en pharmacie d’officine uniquement sur la base d’une prescription médicale depuis juillet 2024 devrait permettre de diminuer ce mésusage. Il reste néanmoins l'achat possible sur internet, de produits généralement falsifiés et affichés comme contenant de la cyproheptadine.
Quel est le profil de risque ?
La cyproheptadine a un mécanisme d'action non sélectif des récepteurs à H1 de l’histamine, et expose à de nombreux effets indésirables liés à ses propriété sédatives marquées, atropiniques, adrénolytiques et antisérotoninergiques. L'utilisation détournée peut favoriser l'apparition d'effets indésirables pas forcement connus par l'utilisateur tels que la somnolence, une baisse de la vigilance, des vertiges, des hallucinations, une anxiété, une mydriase, des atteintes hépatiques (cholestase notamment), une rétention urinaire et la survenue de troubles du rythme cardiaque. Des cas d’anémie et d’agranulocytose ont aussi été rapportés.
Références :
- Information de sécurité - Periactine 4 mg (cyproheptadine) - ANSM [Internet]. Disponible sur: https://ansm.sante.fr/informations-de-securite/periactine-4-mg-cyproheptadine-risques-lies-a-lutilisation-non-conforme-comme-orexigene-a-des-fins-esthetiques
- Vickers SP, Dourish CT, Kennett GA. Evidence that hypophagia induced by d-fenfluramine and d-norfenfluramine in the rat is mediated by 5-HT2C receptors. Neuropharmacology. 2001;41(2):200‑9.
- Huang XF, Weston-Green K, Yu Y. Decreased 5-HT2cR and GHSR1a interaction in antipsychotic drug-induced obesity. Obes Rev. 2018;19(3):396‑405.
- Lulebo AM, Bavuidibo CD, Mafuta EM, Ndelo JD, Mputu LCM, Kabundji DM, et al. The misuse of Cyproheptadine: a non-communicable disease risk behaviour in Kinshasa population, Democratic Republic of Congo. Subst Abuse Treat Prev Policy. 2016;11:7.
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