2.3 [NEW] Le cas de la réponse tumorale

     

La majorité des études monobras utilisées comme étude pivot concerne des traitements du cancer. Aux USA ces études sont largement utilisées dans le cadre des « accelerated approvals ». Et c’est probablement cette acceptation par la FDA qui a conduit à la généralisation de cette approche.

Pour les médicaments visant les tumeurs solides de l’adulte enregistrées par la FDA entre 2017 et 2021, 58 des 168 enregistrements reposaient sur une étude monobras [17] . Sur ces 58 médicaments, 39 ont reçu un enregistrement accéléré et 19 un enregistrement standard. Sur les 39 enregistrements accélérés, 4 ont été ensuite retirés et seulement 8 ont été convertis en enregistrement standard.

Dans ces études le critère de jugement est le plus souvent la réponse tumorale, mesurée par l’ORR (objective response rate ) qui est le pourcentage de patients ayant obtenu comme meilleures réponses à un moment ou un autre une réponse complète ou partielle suivant les critères RECIST. Les réponses complètes ou partielles sont déterminées à partir de l’évolution du « volume » tumoral apprécié grâce à une imagerie (scanner, IRM) répétée à intervalle régulier au cours du temps. Le « volume » tumoral étant mesuré par l’intermédiaire des diamètres des images (tumeur primitive, métastases, etc.). L’imagerie initiale est prise comme référence et l’évolution du « volume » tumoral est rapportée à cette valeur initiale.

Ainsi cette réponse tumorale (ORR) est un changement par rapport à la baseline.

La conclusion à l’intérêt clinique du traitement à partir d’une valeur de l’ORR implique donc que ce critère est considéré comme étant déterministe et uniquement influencé par le traitement. En d’autres termes, sans efficacité réelle du traitement, il est attendu que ce « taux » soit égal à zéro, en considérant qu’au stade métastatique il ne peut y avoir d’évolution favorable spontanée. De ce fait, toute réponse, même partielle, est donc due au traitement.

Cette hypothèse a été confirmée de manière empirique par un travail récent de méta-recherche portant sur les taux de réponse observés dans les groupes placebo d’essais incluant des tumeurs solides à un stade avancé [18] . Quarante-trois essais de ce type ont été identifiés. La synthèse par méta-analyse des taux de réponse (ORR) obtenus dans ces essais est de 1% (IC95% entre 0% et 1%). Ce résultat est donc en faveur d’une situation proche du 0/100% avec la réponse tumorale (ORR et CR).

Cependant, même si effectivement, il est possible d’écarter au stade métastatique une évolution naturelle favorable ou un effet placebo, ce critère peut être quand même sujet à une erreur de mesure. Cette erreur de mesure provient à la fois de la difficulté d’interprétation de certaines images complexes induisant une variabilité aléatoire dans la mesure (même si la valeur exacte sous-jacente n’a pas de variabilité aléatoire). Cette variabilité peut être appréhendée, par exemple, par les différences de « taux » de progression que l’on note dans les études où l’appréciation de la PFS est effectuée à la fois par les investigateurs et un comité d’adjudication centralisée où des différences de l’ordre de 10% sont parfois observées.

Dans un essai évaluant l’évérolimus dans les tumeurs neuroendocrines avancées pancréatiques [19] , la survie sans progression (PFS) a été jugée par les investigateurs et un comité centralisé d’adjudication.

Dans le groupe placebo, la fréquence des progression ou décès a été de 81% par la mesure par les investigateurs et 70% avec la mesure par le comité central d’adjudication, soit une différence absolue de 10%.

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Dans un essai versus un groupe ne recevant qu’un placebo [20] , on note par exemple un ORR à 20% montrant la possibilité d’erreur de mesure importante note n° 7 . Au cas par cas, des « taux » de réponse jusqu’à 10-20% peuvent ne pas être le reflet d’un quelconque effet du traitement.

Au-delà de la question de déterminer l’effet du traitement sur l’ORR sans le recours à un groupe contrôle, la principale limite de la réponse tumorale est qu’elle ne documente qu’une activité biologique anticancer et non pas le bénéfice clinique que pourrait apporter le traitement. L’ORR n’a qu’une pertinence biologique et pas de pertinence clinique. Il n’a pas été possible de mettre en évidence que l’ORR était un surrogate de la survie ou de la PFS [21 , 22] . Ainsi, même s’il était possible de conclure à un effet du traitement sur l’ORR à l’aide d’une étude monobras, cet effet n’indiquerait pas que le traitement apporte un bénéfice clinique au patient en termes d’OS ou de PFS. Par exemple, dans plusieurs enregistrements accélérés accordés par la FDA sur la base du taux de réponse, les essais randomisés de confirmation n’ont pas pu conclure à un bénéfice sur la survie. Ce fût le cas, par exemple, pour le nivolumab pour le cancer du poumon métastatique à petites cellules en 2ème ligne avec un hazard ratio de 0.92 [0.75 to 1.12] note n° 8 pour un taux de réponse de 22% dans l’étude monobras note n° 9 ; ou pour le belantamab mafodotin dans le myélome multiple RRMM avec un hazard ratio OS de 1.14 [0.77, 1.68] note n° 10 pour un taux de réponse de 32% dans la monobras note n° 11 . Cela souligne l’intérêt de l’ORR (et pourquoi pas dans des études monobras) pour des études de phase 2, exploratoires, mais ce critère est insuffisant pour des essais confirmatoires.

Même si pour le taux de réponse il est possible d’accepter ces études en vertu de la règle du 0/100%, ces études restent moins-disantes méthodologiquement pour les critères cliniques pertinents (OS principalement) et ne garantissent pas la fiabilité des décisions comme le montre le nombre de non-confirmations subséquentes du bénéfice.


[7] Dans une étude comparative, en l’absence de biais de mesure, la présence d’erreur de mesure (du type faux positif comme ici) n’expose pas à une conclusion erronée en cas de différence, car l’erreur de mesure est identique dans le groupe contrôle. Dans une étude sans comparateur, une erreur de ce type conduit en revanche à une conclusion erronée.

[8] 10.1200/JCO.20.02212

[9] 10.1016/j.jtho.2019.10.004

[10] https://www.gsk.com/en-gb/media/press-releases/gsk-provides-update-on-dreamm-3-phase-iii-trial-for-blenrep/

[11] 10.1002/cncr.33809