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#177 Qu’est-ce que les inhibiteurs de protéine kinase ? Est-ce efficace pour traiter l’infection au SARS-CoV-2 ?

La réponse à cette question est issue d’un consensus d’experts.

Qu’est-ce que les inhibiteurs de protéine kinase ?

Les inhibiteurs de protéine kinase sont des molécules bloquant l’action d’enzymes  jouant un rôle majeur dans de très nombreuses voies de régulation de la vie cellulaire, comme la régulation de la prolifération et la croissance cellulaire, la survie, l’angiogenèse ou l’invasion métastatique. Il s’agit d’une grande classe pharmacologique regroupant plusieurs sous-types de molécules ciblant les différentes kinases altérées dans les cancers.
Ce sont des en thérapie ciblée utilisés en oncologie pour empêcher la croissance d’une tumeur solide et dans le traitement de plusieurs hémopathies malignes (cancer des cellules sanguines) mais également dans le traitement de pathologies auto-immunes (comme la polyarthrite rhumatoïde par exemple).

Pourquoi sont-ils étudiés dans le cadre de l’infection au SARS-CoV-2 ?

Certains inhibiteurs de kinases ont une action inhibitrice de processus inflammatoires par la régulation de molécules pro-inflammatoires comme les cytokines et les chémokines. Les formes graves d’infection au SARS-CoV-2 sont généralement accompagnées d’une réponse inflammatoire majeure avec libération de cytokines pro-inflammatoires. C’est pourquoi l’intérêt de l’utilisation de ces inhibiteurs pour le traitement de la covid-19 a été suggéré.
De plus, deux articles ont décrit une plus faible proportion de cas d’infection à la covid-19 dans une cohorte italienne de patients traités par inhibiteurs de tyrosine kinase dans le cadre d’hémopathies[1]. En effet, parmi 6883 patients traités par un inhibiteur de tyrosine kinase pour une leucémie myéloïde chronique seulement 12 cas d’infections à la covid-19 ont été développés, et parmi 267 patients atteints d’une leucémie lymphoblastique, 1 seul patient a développé une infection au SARS-CoV-2. De plus, une étude européenne de 175 cas de covid-19 chez des patients porteurs de syndrome myéloprolifératifs a montré que l’arrêt brutal d’un traitement par inhibiteur de tyrosine kinase en cours d’infection était associé à un fort risque de décès[2].
Deux sous types d’inhibiteurs de kinases ont été suggérés comme potentiellement efficace dans le traitement des formes graves d’infection à la covid-19 : les inhibiteurs de protéines kinases Bruton et les inhibiteurs de protéines kinases Janus.

Les inhibiteurs de la kinase Bruton (BTK) : Acalabrutinid, Ibrutinib, Zanubrutinib

Ils sont utilisés dans la leucémie lymphoïde chronique (LLC), la macroglobulinémie de Waldenström et pour la maladie du greffon contre l’hôte (GVHD) chronique. Des essais cliniques ont déjà été réalisés pour évaluer leur efficacité dans le traitement de la covid-19 :  

  • Une étude portant sur 19 patients hospitalisés pour une forme grave de covid-19 (11 sous oxygénothérapie et 8 sous ventilation mécanique) a montré une amélioration clinique avec baisse des apports en oxygène de 10 à 14 jours de traitement par Acalabrutinib sans toxicité notable[3,4].
  • Un essai clinique, porté par le laboratoire AstraZeneca, visait à comparer l’efficacité de l’ajout d’un inhibiteur de kinase de Bruton (acalabrutinib) aux « meilleurs soins de support » chez des patients hospitalisés pour des complications respiratoires de la covid-19 (mais pas sous ventilation artificielle ni soins intensifs) en comparaison à une population traitée par les « meilleurs soins de support ». Dans un communiqué de presse, le laboratoire a fait savoir que cet essai clinique n’a pas atteint le critère d’évaluation d’efficacité principal c’est à dire la proportion de patients en vie et sans insuffisance respiratoire[5].

Inhibiteurs de kinases Janus (JAK) : Baracitinib, Ruxolitinib, Tofacitinib 

Le baricitinib, également nommé Olumiant®, est un inhibiteur réversible et sélectif des Janus kinase (JAK) 1 et 2 qui permettent la transduction des signaux intracellulaires et possèdent ainsi une activité anti-inflammatoire.
Le baricitinib a été évalué dans ACTT-2, un essai clinique contrôlé randomisé incluant des adultes hospitalisés présentant une infection confirmée par le SARS-CoV-2. Le premier bras comprenant le baricitinib associé à un traitement antiviral par remdesivir a été comparé à une association placebo et remdesivir. La proportion de patients décédés au 28e jour était de 5.1 % pour l’association baricitinib et remdesivir contre 7.8 % pour le groupe placebo et remdesivir (HR : 0.65 ; IC 95% [0.39 to 1.09]) [6]. Dans COV-BARRIER un essai randomisé en double aveugle, contrôlé par placebo évaluant le baricitinib chez les patients COVID-19 hospitalisé, la proportion de patients décédés au 28ème jour était de 8% (n=62) pour le baricitinib contre 13% pour le placebo (HR : 0.57 ; IC 95% [0.41, 0.78]; p=0.0018) [7]. Un autre essai s’est intéressé à la mortalité dans une cohorte de patients avec un COVID-19 sévère sous ventilation mécanique invasive ou oxygénation par membrane extracorporelle. Dans le groupe traité par baricitinib, on constate une mortalité à 28 jours réduite par rapport au placebo (HR : 0.54 ; IC 95% [0.31-0.96] ; p=0-030) [8]. L’actualisation en 2022 de l’essai RECOVERY chez les patients COVID-19 hospitalisés révèle que le groupe traité par baricitinib a un taux de décès moindre par rapport au groupe contrôle (ratio de taux ajusté selon l'âge 0.87 ; IC 95 % [0.77, 0.98] ; p=0.026) [9]. Bien que des lymphocytopénies ont été rapportées lors de l’utilisation du baricitinib [10], aucun effet indésirable majeur n’a été retrouvé dans ces études. Actuellement, la demande d'autorisation de mise sur le marché du baricitinib est en cours d’évaluation par l’EMA.
Concernant les autres inhibiteurs de JAK, seul un essai évaluant l’efficacité du tofacitinib chez les patients COVID-19 hospitalisés a retrouvé une tendance à la diminution de la mortalité au 28eme jour [11], tandis qu’un essai contrôlé randomisé bien conduit évaluant le ruxolitinib chez des patients hospitalisés n’a pas montré d’efficacité [12].

doigtA l’heure actuelle, il n’est donc pas possible d’affirmer l’efficacité de ces molécules sur le traitement de la covid-19 et d’autres essais cliniques sont nécessaires.   

Références :

  1.  Breccia M, Abruzzese E, Bocchia M, Bonifacio M, Castagnetti F, Fava C, et al. Chronic myeloid leukemia management at the time of the COVID-19 pandemic in Italy. A campus CML survey. Leukemia. août 2020;34(8):2260‑1.
  2.  Barbui T, Vannucchi AM, Alvarez-Larran A, Iurlo A, Masciulli A, Carobbio A, et al. High mortality rate in COVID-19 patients with myeloproliferative neoplasms after abrupt withdrawal of ruxolitinib. Leukemia. févr 2021;35(2):485‑93.
  3. Roschewski M, Lionakis MS, Sharman JP, Roswarski J, Goy A, Monticelli MA, et al. Inhibition of Bruton tyrosine kinase in patients with severe COVID-19. Sci Immunol. 5 juin 2020;5(48):eabd0110.
  4. Thibaud S, Tremblay D, Bhalla S, Zimmerman B, Sigel K, Gabrilove J. Protective role of Bruton tyrosine kinase inhibitors in patients with chronic lymphocytic leukaemia and COVID-19. Br J Haematol. juill 2020;190(2):e73‑6.
  5. AstraZeneca. A Phase 2, Open Label, Randomized Study of the Efficacy and Safety of Acalabrutinib With Best Supportive Care Versus Best Supportive Care in Subjects Hospitalized With COVID-19 [Internet]. clinicaltrials.gov; 2021 sept Report No.: results/NCT04346199. Disponible sur: https://clinicaltrials.gov/ct2/show/results/NCT04346199
  6. Kalil AC, Patterson TF, Mehta AK, Tomashek KM, Wolfe CR, Ghazaryan V, et al. Baricitinib plus Remdesivir for Hospitalized Adults with Covid-19. N Engl J Med. 4 mars 2021;384(9):795‑807.
  7. Marconi VC, Ramanan AV, Bono S de, Kartman CE, Krishnan V, Liao R, et al. Efficacy and safety of baricitinib for the treatment of hospitalised adults with COVID-19 (COV-BARRIER): a randomised, double-blind, parallel-group, placebo-controlled phase 3 trial. The Lancet Respiratory Medicine. 1 déc 2021;9(12):1407‑18.
  8. Ely EW, Ramanan AV, Kartman CE, Bono S de, Liao R, Piruzeli MLB, et al. Efficacy and safety of baricitinib plus standard of care for the treatment of critically ill hospitalised adults with COVID-19 on invasive mechanical ventilation or extracorporeal membrane oxygenation: an exploratory, randomised, placebo-controlled trial. The Lancet Respiratory Medicine 3 févr 2022 [cité 16 mars 2022];0(0). https://www.thelancet.com/journals/lanres/article/PIIS2213-2600(22)00006-6/fulltext
  9. Group RC, Horby PW, Emberson JR, Mafham M, Campbell M, Peto L, et al. Baricitinib in patients admitted to hospital with COVID-19 (RECOVERY): a randomised, controlled, open-label, platform trial and updated meta-analysis medRxiv; 2022 p. 2022.03.02.22271623. https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2022.03.02.22271623v1
  10. Praveen D, Puvvada RC, M VA. Janus kinase inhibitor baricitinib is not an ideal option for management of COVID-19. Int J Antimicrob Agents. mai 2020;55(5):105967.
  11. Guimarães PO, Quirk D, Furtado RH, Maia LN, Saraiva JF, Antunes MO, et al. Tofacitinib in Patients Hospitalized with Covid-19 Pneumonia. N Engl J Med. 29 juill 2021;385(5):406‑15.
  12. Han MK, Antila M, Ficker JH, Gordeev I, Guerreros A, Bernus AL, et al. Ruxolitinib in addition to standard of care for the treatment of patients admitted to hospital with COVID-19 (RUXCOVID): a randomised, double-blind, placebo-controlled, phase 3 trial. The Lancet Rheumatology 29 mars 2022 https://www.thelancet.com/journals/lanrhe/article/PIIS2665-9913(22)00044-3/fulltext
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