La réponse à cette question est issue d’un consensus d’experts.
Avant la mise sur le marché (AMM)
Il semble important de rappeler que comme pour tout médicament, la sécurité d’emploi d’un vaccin fait partie intégrante de chacune des étapes de son développement, au même titre que l’évaluation de son efficacité. D’ailleurs, cette considération implique généralement d’inclure suffisamment de personnes dans les essais cliniques, et de les suivre sur une durée suffisante pour s’assurer d’objectiver un profil de tolérance représentatif, et de pouvoir mettre en évidence les effets indésirables moins fréquents et inattendus.
Ce n’est qu’à la condition d’une balance “bénéfices-risques” favorable, établie sur les critères d’efficacité et de sécurité, qu’un vaccin, ou tout autre médicament, peut obtenir son autorisation de mise sur le marché (AMM).
Toutefois, compte tenu du relativement faible nombre de personnes incluses dans les essais cliniques et de la durée courte du suivi, seuls les effets les plus fréquents et de survenue précoce sont susceptibles d’être détectés (par exemple, si l’étude a inclus 10 000 personnes, un effet qui surviendrait chez 1 patient sur 100 000 n’a que très peu de chance de survenir). L’absence de signal dans les essais n’est donc pas suffisante pour conclure à l’absence de risque.
Une fois l’AMM obtenue
Une fois sur le marché, la surveillance du médicament, du vaccin, ne s’arrête pas : c’est ce qu’on appelle la phase IV du développement, où intervient la pharmacovigilance. En effet, dans des conditions d’utilisation “en vie réelle”, sur une plus large population et plus variée (personnes âgées, femmes enceintes, allaitantes, enfants, personnes atteintes d’une maladie chronique…), que dans le cadre des essais cliniques, des effets rares, complexes (liés au terrain du patient ou à des interactions médicamenteuses par exemple), ou tardifs peuvent être mis en évidence.
Ce suivi en vie réelle permet de faire émerger d’éventuels effets indésirables rares mais aussi d’évaluer de nouveaux critères de jugement non pris en compte au cours des essais clinique comme par exemple, dans le cas de la Covid-19, l’impact de la vaccination sur les hospitalisations, sur les hospitalisations en unité de soins intensifs, sur la mortalité ou sur la transmission virale.
Tout l’enjeu de la pharmacovigilance est donc de garantir que la balance “bénéfices-risques” du médicament, du vaccin, reste positive dans ses conditions d’utilisation dans la population, et ce durant toute la vie du vaccin. Cette balance n’est pas le fruit d’une formule mathématique mais l’aboutissement d’une appréciation collégiale prenant en compte de multiples paramètres et les incertitudes qui y sont liées ; elle est au cœur de discussions d’experts qui conduisent à formuler les recommandations vaccinales. Elle doit être actualisée régulièrement, au vu des connaissances apportées par la pharmacovigilance et la pharmaco-épidémiologie mais également parce qu’elle dépend du contexte épidémique (circulation actuelle et prévue du virus ainsi que l’évolution de la maladie). De plus, elle doit être évaluée différemment selon les sous-groupes de la population en prenant en compte notamment l’âge et la présence de comorbidités. En cas de mise en évidence d'un nouveau risque, des mesures de minimisation des risques peuvent être mises en place. Par exemple, si on se rend compte qu’une population définie est plus à risque de faire un effet indésirable particulier avec un vaccin précis, on pourra contre-indiquer ce vaccin à cette population, et on lui recommandera plutôt un autre vaccin qui n’est pas à risque de provoquer cet effet indésirable.
Pour en savoir plus sur la pharmacovigilance : reportez-vous à la question #153.
Ainsi, en France, la sécurité des vaccins de la Covid-19 commercialisés fait l’objet: d’une part, d’un suivi en pharmacovigilance, via les Centres Régionaux de Pharmacovigilance (CRPV), et d’autre part du suivi systématique d’une cohorte de patients. Tous deux sont sous la responsabilité de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé (ANSM).
Le suivi de pharmacovigilance en France s’intègre dans le plan de gestion des risques coordonné par l’Agence Européenne du Médicament (EMA). De plus, la sécurité sera surveillée au niveau mondial par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui centralise le suivi à Uppsala, en Suède.
En pratique, pour les vaccins de la COVID-19
Pour permettre aux CRPV de détecter des signaux, il faut que les effets indésirables soient déclarés. Cette déclaration peut être faite par les professionnels de santé ou par les patients eux-mêmes.
Attention : l’objectif n’est pas de faire une revue exhaustive des effets indésirables bénins déjà connus et étudiés dans le cadre des essais cliniques, mais de mettre en évidences des effets indésirables graves et/ou nouveaux, ayant conduit à une consultation médicale ou à une hospitalisation.
Ainsi, il n’est pas pertinent voire même contre-productif de déclarer la survenue d’effets connus et bénins, comme la survenue d’une fièvre modérée, ou de maux de têtes par exemple. Ceci risquerait d’engorger le système et de retarder la détection d'effets indésirables graves ou nouveaux.
Au 18 février 2022, les vaccins contre la Covid-19 avaient conduit à 153 452 déclarations analysées et saisies par les CRPV, soit une activité 4 à 6 fois plus importante (selon les centres) que la normale. Parmi ces déclarations, 969 cas marquants ou potentiels signaux ont été transmis à l’ANSM en 2021.
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Afin d’aider les CRPV dans leur mission, des moyens humains supplémentaires ont été demandés. Mais ce n’est pas la seule aide dont ils vont disposer.
A partir de la mi-janvier, un système d’intelligence artificielle a été déployé. L’objectif n'est pas de remplacer l’expertise humaine mais de fluidifier la chaine d’analyse. En effet, l’intelligence artificielle intervient entre la déclaration des patients via le portail de signalement des événements sanitaires indésirables https://signalement.social-sante.gouv.fr/ et l’expertise des pharmacovigilants des CRPV (les déclarations provenant des médecins sont analysées en priorité sans passer par ce système).
L’intelligence artificielle transforme dans un premier temps les verbatims contenus dans les déclarations des patients en termes médicaux selon la classification MedDRA utilisée dans les CRPV. Ensuite, elle analyse ces termes pour trier les déclarations « graves » et « non graves », sans juger du rôle qu’a joué le vaccin dans la survenue de l’effet. Ceci permet aux pharmacovigilants des CRPV de prioriser leurs analyses, et ainsi d’être plus réactifs dans la mise en évidence de signaux.
Les déclarations non urgentes seront traitées dans un deuxième temps.
Pour information, l’intelligence artificielle stocke uniquement les données anonymisées, et le logiciel est régit par le cahier des charges de l’ANSM en termes de sécurités des données.
Le système a également fait preuve d’une certaine agilité pour pouvoir faire face aux conditions changeantes de la vaccination, tel que le développement de la vaccination hétérologue en raison des changements d’indication pour certains vaccins.
Pour des informations détaillées sur la procédure de suivi, voir la QR13
Ce dispositif de surveillance a représenté une charge de travail considérable pour les CRPV, dont les équipes restreintes se sont mobilisées.
Grâce à cette expertise pharmacologique, la France avait émis en avril 2022 un total de 49 signaux pour les différents vaccins autorisés (17 concernant Comirnaty, 14 pour Spikevax, 13 pour Vaxzevria et 5 pour Jcovden), dont 19 avaient été lancés par la France seule ou en premier. La France est le sixième contributeur du programme VigiBase de l’OMS et parmi les trois premiers en ce qui concerne l’informativité, ce qui témoigne de la performance du système français. Au niveau national, ce sont 60 rapports d’expertise (20 pour Comirnaty, 17 pour Vaxzevria, 17 pour Spikevax et 6 pour Jcovden) qui ont été réalisés, ainsi que 18 rapports sur des problématiques spécifiques.
Plusieurs rapports publics ont démontré l’efficacité de la vaccination avec un niveau élevé, notamment via l’impact de la vaccination sur le risque de formes graves chez les personnes âgées de 50 à 74 ans [3] ainsi que celles âgées de 75 ans et plus [4]
Ces études ont également permis de mettre en évidence une moindre efficacité du vaccin Jcovden® sur le risque d’hospitalisation en comparaison avec le vaccin Comirnaty® (Pfizer-BioNTech) et d’identifier les facteurs de risque résiduel de forme grave malgré la vaccination : âge, immunodépression, polypathologie [5].
Références :
- https://www.ansm.sante.fr/Dossiers/COVID-19-Vaccins/COVID-19-Les-vaccins/
- https://www.ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/Campagne-de-vaccination-contre-la-Covid-19-L-ANSM-deploie-son-dispositif-de-surveillance-renforcee-Point-d-Information
- M.-J. Jabagi et al., Estimation de l’impact de la vaccination sur le risque de formes graves de Covid-19 chez les personnes de 50 à 74 ans en France à partir des données du Système National des Données de Santé », 2021 https://www.epi-phare.fr/rapports-detudes-et-publications/impact-vaccination-covid-octobre-2021/
- K. Bouilon et al., « Estimation de l’impact de la vaccination chez les personnes âgées de 75 ans et plus sur le risque de formes graves de Covid-19 en France à partir des données du Système National des Données de Santé (SNDS) – actualisation jusqu’au 20 juillet 2021 », https://www.epi-phare.fr/rapports-detudeset-publications/impact-vaccination-covid-octobre-2021/
- Rapport OPECST, Sénat, Juin 2022 (Rapport (https://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/473079/4608021/version/1/file/rapport_EI+vaccins+covid+sec_VF.pdf et Synthèse : https://www2.assemblee-nationale.fr/content/download/473106/4608258/version/1/file/Synthese_rapport_effets_indesirables_VF.pdf)