#M009 Randomisation selon le design de Zelen : principe, risque de biais et analyse critique

Vitamin D3 Supplementation at 5000 IU Daily for the Prevention of Influenza-like Illness in Healthcare Workers: A Pragmatic Randomized Clinical Trial. Nutrients 2023, 15, 180. https://doi.org/10.3390/nu15010180

Pourquoi a-t-on choisi cet article ?

Une publication récente d’un essai de la vitamine D en prophylaxie des syndromes grippaux utilisant un design de Zelen donne l’occasion de revenir sur les principes méthodologiques de ce design d’essai randomisé particulier, posant de nombreuses problématiques éthiques et méthodologiques, et où une analyse inappropriée conduit à des résultats non à l’abris des biais.

Ce qu’en pense la SFPT

  • Une randomisation selon le schéma de Zelen expose à différents risques de biais ;
  • Afin de mettre le résultat d’une étude planifiée selon le design de Zelen à l’abris des biais, l’analyse doit impérativement être réalisée en intention de traiter ;
  • Les patients ayant la possibilité de refuser le traitement expérimental après randomisation, l’analyse en intention de traiter dilue l’effet du traitement, ce qui peut conduire à un résultat négatif même en cas de réel effet du traitement ;
  • Compte-tenu de ses limites, le design de Zelen doit être limité à des situations exceptionnelles : lorsque le double-aveugle est impossible (ex : interventions touchant le mode de vie), lorsqu’une randomisation individuelle est souhaitable et/ou lorsque le risque de déception – en cas de randomisation dans le groupe standard – est potentiellement fort. 

Pour approfondir

Design de Zelen : théorie

Dans un essai randomisé « classique », les patients sont randomisés après avoir été informés de l’étude et avoir consenti à participer à l’étude. Au moment de la randomisation, ils ont donc connaissance des différents bras de traitement.
A l’inverse, dans un essai planifié selon le design proposé par Zelen (Zelen, NEJM 1979) – également appelé « randomized consent design » ou « prerandomization consent design » – , les patients sont randomisés avant d’être informés de l’essai.

  • Si le patient est randomisé dans le groupe contrôle, il n’est pas informé et reçoit le traitement standard sans avoir été informé de sa participation à un essai clinique.
  • Si le patient est randomisé dans le groupe traitement, il sera informé des objectifs de l’essai clinique et son consentement à recevoir le traitement expérimental sera recherché.

Les spécificités du design de Zelen sont donc :

  • De ne pas rechercher de consentement pour les patients du groupe contrôle ;
  • De rechercher le consentement pour les patients du groupe expérimental après randomisation. Le patient randomisé dans le groupe expérimental a donc la possibilité de refuser de participer à l’étude ; il sera alors traité selon les modalités du groupe contrôle.

Toutefois cette approche a été complètement abandonnée pour des raisons éthiques : en effet, les patients du groupe contrôle ne sont pas informés de leur participation à un essai clinique, ce qui n’est plus acceptable aujourd’hui. Elle a donc été remplacée par des alternatives en deux étapes (« two-stage randomized consent design ») (Figure 1) ou par l’obtention du consentement a posteriori « consent to postponed information ») (Velthuis et al, J Clin Epidemiol 2011).

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Figure 1. Le design initialement proposé par Zelen (A) est aujourd’hui remplacé par des alternatives en deux étapes (B) dans lesquelles les patients reçoivent une première information concernant les modalités de suivi de l’étude, avec un premier consentement. Le design de Zelen est ensuite utilisé s’ils acceptent de participer à l’étude.

Une autre limite éthique, est que même dans les designs à deux étapes ou à consentement a posteriori, une partie de l’information est dissimulée aux patients du groupe contrôle. Cela est non seulement de moins en moins accepté, mais aussi de plus en plus difficile à mettre en œuvre du fait de la circulation de l’information (déclaration des essais, réseaux sociaux).

Pour ces différentes raisons, le design de Zelen est très peu utilisé. Le point de repère méta-épidémiologique dont on dispose est une étude de 2006 dénombrant seulement 58 essais de ce type (Adamson et al. Clin Trials 2006). Bien que le nombre de publications annuel semble avoir doublé depuis 2010, cette approche reste très rarement utilisée.

Design de Zelen : intérêt

L’intérêt du design de Zelen est de limiter la déception qui pourrait découler du fait de ne pas bénéficier du traitement expérimental, lorsque l’aveugle n’est pas possible. Cette méthode est donc une option lorsqu’une randomisation individuelle est souhaitable (ou que la randomisation en clusters est impossible ou difficile à mettre en œuvre. Le design de Zelen a par exemple été utilisé pour évaluer l’efficacité d’interventions sur le mode de vie (activité physique, thermalisme), ou de nouvelles modalités de prise en charge multidisciplinaire des patients âgés (Gabbard et al., JAMA Intern Med 2021) ou à domicile dans certains troubles psychiatriques (Cornelis et al., Lancet Psychiatry 2022).

Design de Zelen : inconvénients

Toutefois cette méthode présente des limites méthodologiques : la possibilité de refuser le traitement alloué introduit un risque de biais dans l’évaluation de l’effet traitement.

En effet, il est assez probable que les patients refusant le traitement expérimental soient différents – en termes de caractéristiques pronostiques – de ceux acceptant le traitement expérimental. Ces refus ont peu de chance d’être purement aléatoires (completly at random) et l’analyse en « traitement reçu » expose à un biais de sélection. Dans une telle analyse en « traitement reçu », la possibilité qu’ont les patients de changer de traitement casse le bénéfice de la randomisation à créer deux groupes de patients initialement comparables. Ici la problématique est identique à celle des études observationnelles où le traitement dépend potentiellement des caractéristiques des patients et du critère, conduisant à un phénomène de confusion (couramment appelé biais de confusion).

Design de Zelen : réduire le risque de biais

Pour éviter de conclure sur la base d’un résultat biaisé, l’analyse des études planifiées selon un design de Zelen doit impérativement s’effectuer en intention de traiter [ITT] : tous les patients randomisés sont analysés dans le groupe de traitement alloué par la randomisation, qu’ils aient ou non reçu le traitement.

  • Avantage de l’analyse en ITT : elle est protégée contre le risque de produire un résultat faussement positif dû à un biais de sélection.
  • Inconvénient de l’analyse en ITT : elle est sujette à une dilution de l’effet, car une proportion de patients randomisés dans le groupe expérimental recevront en réalité le traitement standard. La perte de puissance qui en découle augmente le risque de faux négatifs.
Design de Zelen : en pratique

L’essai publié par van Helmond et al. avait pour objectif d’évaluer l’efficacité de la vitamine D dans la prévention des syndromes grippaux (infections influenza like, ILI), COVID-19 y compris, chez les professionnels de santé.

PICOS de l’étude

Population

Professionnels de santé d’un hôpital

Intervention

Supplémentation en vitamine D

Control

Pas de supplémentation en vitamine D

Outcome

Syndrome grippal

Study design

Essai contrôlé, randomisé, multicentrique, avec un design de Zelen

Dates clés

Les professionnels de santé ont été inclus de Oct 2020 à Janv 2021.

L’essai est présenté comme étant un essai randomisé, pragmatique, utilisant un design de Zelen avec randomisation avant consentement des professionnels de santé d’un hôpital à partir d’une liste administrative, suivie de l’information des participants et du recueil de leur consentement à participer à l’étude. Ceux ne répondant pas ou refusant de donner leur consentement ont semble-t-il été exclus de l’étude.

D’après le flow chart (Figure 2), 7600 professionnels de santé ont été randomisés avant consentement :

  • 4708 professionnels de santé dans le groupe expérimental (vitamine D),
  • 2892 professionnels de santé dans le groupe contrôle.

Afin d’estimer l’effet de la vitamine D sans risque de biais, l’analyse devrait donc porter sur la totalité de ces 7600 sujets (analyse en ITT, cf paragraphe précédent).

Pourtant, le flow chart montre que sur 4708 patients randomisés dans le groupe vit D, seulement 299 sujets ont été inclus. Le principal motif de non-inclusion étant l’absence de réponse (n=3783). De plus, sur ces 299 patients, 44 ont été secondairement exclus de l’analyse car ils n’avaient pas reçu la durée de traitement considérée comme suffisante (≥ 60 jours), ce qui est contraire au principe de l’ITT. Dans le groupe contrôle, 578 sujets ont accepté et ont été analysés.

Au final, l’analyse rapportée porte donc sur :

  • 255 professionnels de santé du groupe expérimental (vitamine D), ce qui correspond à 5,4 % des patients randomisés;
  • 578 professionnels de santé du groupe contrôle, ce qui correspond à 20,0 % des patients randomisés.

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Figure 2. Flow chart de l’étude

La qualité de rédaction de l’article est insuffisante et ne permet pas d’en faire une lecture critique parfaitement éclairée. Alors que l’intention des auteurs était initialement de randomiser les patients avec un ratio 1:1, celui-ci a été changé à 2:1 en cours d’étude. On note que le ratio entre le nombre de sujets randomisés (NVit D / NContrôle = 1,6) et celui analysé (NVit D / NContrôle = 0,44) s’est inversé.
Une limite majeure est que l’analyse proposée n’est clairement pas l’analyse en ITT, indispensable dans un design de Zelen, mais bien une analyse en per protocol exposée au biais inhérent à cette approche : « we conducted a per protocol analysis; an intention-to-treat analysis would require all of the subjects who did not elect to participate to be calculated as part of the intervention group »).
De plus, cette analyse ne porte que sur les sujets ayant pris la vitamine D pendant au moins 60 jours. En définissant ainsi la population d’analyse, suivant un évènement intercurrent survenant après randomisation, l’effet traitement mesuré ne correspond plus à une question causale. Comme il s’agit d’une étude expérimentale prospective, l’exclusion des patients n’ayant pas pris au moins 60 jours de traitement (et de leur évènement le cas échéant) n’entraine pas de biais de sélection type temps d’immortalité (sauf s’ils ont été basculés au moment de l’analyse dans le groupe contrôle).
En plus du biais de sélection, l’étude est en ouvert et elle est donc exposée au biais de mesure et au biais de suivi. Le risque de biais de mesure est important compte tenu de la nature subjective du critère de jugement (auto-monitorage des infections par les participants pour les déclarer à l’administration de l’hôpital).
En plus de ces différents biais, cet essai est prévu pour conclure uniquement sur son critère de jugement principal. En effet, aucune méthode visant à gérer la multiplicité des comparaisons statistique avec un contrôle strict du risque alpha global n’a été mise en œuvre ; les critères secondaires sont donc purement exploratoires.
Au total, l’analyse réalisée dans cet essai utilisant une variante du design de Zelen n’est pas l’analyse adaptée pour éviter les biais induits par les refus de participer post-randomisation, mais une analyse impropre ne mettant pas le résultat produit à l’abri des biais. De ce fait, ces résultats ne peuvent pas être considérés comme montrant un bénéfice de la prise de vit D en prophylaxie des syndromes grippaux chez des professionnels de santé. Bien que non rapportée, il est raisonnable de penser que l’analyse correcte en ITT n’est pas concluante compte tenu du nombre de sujets randomisés ayant déclinés l’invitation à participer.

References

  1. Zelen M. A new design for randomized clinical trials. N Engl J Med 1979; 300: 1242-5.
  2.  Adamson J, Cockayne S, Puffer S, Torgerson DJ. Review of randomised trials using the post-randomised consent (Zelen's) design. Contemp Clin Trials 2006; 27: 305-19.
  3. Zelen M. Randomized consent designs for clinical trials: an update. Stat Med 1990; 9: 645-56.
  4. Ellenberg SS. Randomization designs in comparative clinical trials. N Engl J Med. 1984;310(21):1404‑8.
  5. Velthuis MJ, May AM, Monninkhof EM, van der Wall E, Peeters PH. Alternatives for randomization in lifestyle intervention studies in cancer patients were not better than conventional randomization. J Clin Epidemiol 2011.

études randomisées, Biais