#M006 Emuler un essai clinique randomisé à partir des données observationnelles, une bonne idée ?

De quoi parle-t-on ?

D’Andrea E, Desai RJ, He M, Glynn RJ, Lee H, Weinblatt ME, et al. Cardiovascular Risks of Hydroxychloroquine vs Methotrexate in Patients With Rheumatoid Arthritis. J Am Coll Cardiol. 5 juill 2022;80(1):36‑46 https://doi.org/10.1016/j.jacc.2022.04.039

Pourquoi a-t-on choisi cet article ?

Nous sommes habitués aux essais cliniques randomisés pour établir un lien causal entre la prise d’un médicament et la survenue d’un évènement. Mais comment faire lorsque cet essai ne peut pas être réalisé ? Qu’est-ce que l’émulation d’un essai clinique ? Comment doit-on lire et interpréter ce genre d’étude ? Pour le savoir, installez-vous confortablement et lisez ce billet… En route !

Cette étude est un bon exemple d’émulation d’essai clinique randomisé. Il s’agit d’une étude de pharmaco-épidémiologie qui évalue, chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde, la sécurité cardiovasculaire de l’hydroxychloroquine contre un médicament de référence (ou comparateur actif), le méthotrexate.(1)

Ce qu’en pense la SFPT : principaux messages de l’article

La dualité du critère principal et la multitude de critères secondaires gênent ici l’interprétation. Si l’analyse globale ne met pas en évidence d’augmentation globale du risque d’évènement cardiovasculaire majeur et de la mortalité, ceux-ci apparaissent néanmoins significativement augmentés dans le sous-groupe des patients insuffisants cardiaques. Des résultats très cohérents avec l’augmentation retrouvée du risque du critère secondaire d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque dans la même population.  Dans ces conditions, il y a pour nous une discordance entre les résultats apportés et la conclusion faite par les auteurs, à savoir une absence de surrisque cardiovasculaire démontrée sur les critères de mort subite ou d’évènement cardiovasculaire majeur.

La pyramide classique du niveau de preuve classe ce type d’étude parmi les études de niveau de preuve intermédiaire, entre les essais cliniques mal conduits et les études cas-témoins. Cette pyramide aujourd’hui un peu vétuste ne fait cependant aucun distinguo entre une petite cohorte de terrain de taille et de moyens limitées et une analyse de cohorte sophistiquée comme celle-ci, dont le schéma correspond à ce qui est considéré aujourd’hui comme le parangon de la recherche causale à partir de données observationnelles. Le niveau de preuve d’émulation d’essai clinique, quand elle est bien réalisée comme dans l’étude présentée, doit être considéré comme il se doit. Il est le plus proche de celui qu’aurait permis d’atteindre un essai clinique bien conduit, sans toutefois pouvoir l’atteindre, et il est certainement aussi le meilleur niveau de preuve qui sera jamais disponible, sachant que l’essai en question ne sera probablement jamais conduit.(2,3)

Pour approfondir

La médecine fondée sur les preuves reconnait l’essai clinique randomisé comme le moyen le plus sûr d’établir le lien entre la prise d’un médicament et un évènement (bénéfique, comme la survie, ou néfaste, comme un effet indésirable). Cependant, toutes les situations ne se prêtent pas à un essai clinique randomisé, pour des raisons éthiques, de faisabilité ou simplement de temporalité. (2) Dans ces situations, on peut essayer d’émuler un essai clinique à partir des données observationnelles, c’est-à-dire, en analysant celles-ci, de reproduire le plus fidèlement possible l’évaluation telle quelle aurait été conduite dans les conditions d’un essai clinique. Cela nécessite de suivre des règles strictes, comme lors de la conduite d’un essai, afin de pouvoir en tirer des conclusions adéquates. Nous allons parcourir ces règles d’émulation avec l’illustration d’une étude comparant la sécurité de deux médicaments de la polyarthrite rhumatoïde.

Etude exemple

Pour compléter notre avant-propos (« Pourquoi a-t-on choisi cet article ? »), le schéma d’étude repose sur la sélection de nouveaux utilisateurs au moment de l’instauration du médicament (new-user design). Le choix des participants a été réalisé à l’aide d’un score de propension (un score construit pour représenter la probabilité théorique de recevoir un traitement, probabilité statistiquement prédite selon des caractéristiques des participants). En outre, les participants étaient identifiés au sein de la base de données médico-administrative américaine Medicare, le plan de sécurité sociale qui couvre gratuitement les sujets âgés de 65 ans et plus aux Etats-Unis (~50 millions d’assurés).

Les grandes étapes à respecter pour émuler un essai clinique
  • Etape 1 : Définir les critères d’éligibilité des sujets.

Pour transposer la conclusion d’une étude à une population, il est fondamental de bien définir quels sujets ont été étudiés et quels sujets ont été exclus de l’analyse. Dans notre exemple, les auteurs détaillent que les patients devaient présenter une polyarthrite rhumatoïde, être âgés de 65 ans ou plus, et ne devaient pas avoir reçus de médicament dits « modificateurs » de la maladie dans l’année précédente (la liste de ces médicaments était fixée),

  • Etape 2 : Définir la stratégie thérapeutique.

Ce sont les modalités de prise du traitement et les critères d’arrêt. A l’aide des bases de données médico-administratives, on ne peut souvent pas s’assurer de la prise d’un médicament. A la place, on se servira d’informations sur la dispensation. Dans l’étude, on retrouve par exemple comme critère d’arrêt le fait de débuter le traitement de l’autre groupe (dispensation d’hydroxychloroquine à un patient du groupe méthotrexate).

  • Etape 3 : Définir La procédure d’assignation.
  • Comment les sujets ont-ils rejoint l’un ou l’autre groupe de l’étude ? Dans un essai clinique, les sujets sont aléatoirement et équitablement répartis entre les deux bras, c’est le principe de la randomisation. En situation observationnelle, on ne peut pas contrôler directement cette assignation ; on peut cependant en reproduire artificiellement le principe à l’aide de la technique du score de propension déjà évoquée. Ce score, comme expliqué auparavant, permet de prédire statistiquement la probabilité théorique de recevoir un traitement à partir des caractéristiques des patient. Il va être utilisé pour jumeler, entre les groupes comparés, des patients ayant une probabilité proche de recevoir le traitement évalué. Cela améliore considérablement la comparabilité des groupes, au point que l’on peut parler dans les meilleurs cas de pseudo-randomisation.
  • Etape 4 : Définir la période de suivi.

 Jusqu’à quelle date, quel évènement ou pendant combien de temps va-t­-on suivre ces patients ? Dans l’étude, le patient était suivi pendant toute la durée du traitement, tant qu’il ne se voyait pas prescrire le traitement de l’autre bras ou un autre traitement modificateur de la polyarthrite rhumatoïde, et/ou jusqu’à ce que survienne un évènement d’intérêt (arrêt cardiaque ou arythmie ventriculaire, autre évènement cardiovasculaire majeur). En outre, le patient était également suivi 60 jours après l’arrêt de son traitement. Ce dernier point est spécifique à l’utilisation d’information de dispensation : on considère que les patients ont souvent quelques boites de médicament d’avance et qu’ils continuent d’être exposés plusieurs jours après la dernière dispensation.

  • Etape 5 : Définir l’évènement d’intérêt.

Il doit être clairement défini ; comme dans un essai clinique, c’est un point majeur de toute étude pharmaco-épidémiologique, a fortiori d’une étude émulant un essai clinique. Dans les études pharmaco-épidémiologiques utilisant des bases de données médico-administratives, il faut y attacher d’autant plus de soin que l’accès à des données médicales détaillées n’est pas toujours possible. Dans ces bases de données, on regarde le plus souvent si le patient est admis à l’hôpital pour une pathologie d’intérêt, ou on se sert d’algorithmes solidement validés pour détecter un évènement. C’est cette dernière option a été choisie dans notre étude avec l’utilisation d’un algorithme pour chacun des deux évènements d’intérêt (arrêt cardiaque/arythmie ventriculaire d’une part, évènement cardiovasculaire majeur d’autre part).

  • Etape 6 : Définir le type d’analyse.

Il peut s’agir d’une analyse en intention de traiter ou en per-protocole. Ces concepts  définis dans le contexte des essais cliniques sont tout à fait transcriptible en émulation.(4)

  • Etape 7 : Définir le plan d’analyse.

On détaille le choix de l’estimateur, le type de modèle statistique, la méthode de contrôle des facteurs de confusion. Dans l’étude, c’est un modèle de Cox pour risques proportionnels qui a été utilisé pour générer des Hazard Ratios.

Interpréter les résultats

Si la méthodologie est appropriée et l’étude bien conduite, ce qui est le cas ici, on peut se plonger dans la lecture des résultats, et en tout premier lieu ceux concernant le critère de jugement principal unique qui doit pouvoir être clairement identifié.

Dans cette émulation d’essai clinique analysant les données de 54,462 patients avec une durée médiane de suivi de 209 jours, les auteurs ne montrent pas de différence significative sur les critères de jugements principaux, à savoir le risque de mort subite ou arythmie ventriculaire (Hazard Ratio 1.03, IC 95% 0.79-1.35) et le risque d’évènement cardiovasculaire majeur (HR 1.07, IC 95% 0.97-1.18). Parmi les critères secondaires, les auteurs montrent pour différents sous-groupes de patients une augmentation du risque de mortalité toute cause, de mortalité cardiovasculaire, et d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque, sans augmentation du risque d’infarctus du myocarde ou d’accident vasculaire cérébral.

Notre lecture des résultats se trouve dans la partie « Ce qu’en pense la SFPT ». Sans paraphraser trop longuement, les résultats auraient été plus lisibles avec un critère de jugement principal unique.

Conclusion

Lorsqu’un essai clinique randomisé ne peut être conduit, l’émulation d’essai clinique sur données observationnelles est une technique fiable. Pour interpréter ces résultats, il faut s’assurer qu’elle a été conduite selon des règles strictes que nous avons énoncées et qu’elle est exempte de biais majeurs. De notre opinion, lorsque les conditions sont réunies, le niveau de preuve est élevé et ces études permettent d’aider à la prise de décision en santé publique.

Références
  1. D’Andrea E, Desai RJ, He M, Glynn RJ, Lee H, Weinblatt ME, et al. Cardiovascular Risks of Hydroxychloroquine vs Methotrexate in Patients With Rheumatoid Arthritis. J Am Coll Cardiol. 5 juill 2022;80(1):36‑46.
  2. Hernán MA, Robins JM. Using Big Data to Emulate a Target Trial When a Randomized Trial Is Not Available. Am J Epidemiol. 15 avr 2016;183(8):758‑64.
  3. Hernán MA. The C-Word: Scientific Euphemisms Do Not Improve Causal Inference From Observational Data. Am J Public Health. mai 2018;108(5):616‑9.
  4. Livre blanc - GT méthodologie. https://sfpt-fr.org/livreblancmethodo/index.htm

pharmacoépidémiologie